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Les critiques de Bifrost

Féerie

Féerie

Paul J. MCAULEY
J'AI LU
13,57 €

Bifrost n° 12

Critique parue en mars 1999 dans Bifrost n° 12

Tout commence comme un film à la Quentin Tarentino : Alex Sharkey, personnage sans charisme ni courage, se retrouve prisonnier d'affaires trop dangereuses pour lui. Bien entendu, son goût de l'argent l'a amené à franchir les frontières de l'honnêteté, et le voici confronté à une pègre bien plus violente et bien moins morale que lui, et à des policiers qui le manipulent sans vergogne. Nous sommes dans la deuxième décennie du 21e siècle, les sans-logis s'entassent de façon organisée dans le métro londonien, et la société n'en finit pas de se déliter. Les Poupées sont des êtres vivants cultivés, aux corps humains à la peau bleue, mais avec la docilité et le statut social d'animaux. Elles servent à d'écoeurants combats de gladiateurs. Un milieu excuse bien des infractions à loi ; il est pourtant difficile de pardonner à Alex, qui n'a jamais su se créer un espace personnel de moralité, des valeurs ou des amis à défendre au risque de sa propre vie, comme le fait Leroy, sympathique patron de clandé.

Physiquement et moralement, Alex est le prototype du bidouilleur informatique asocial : obèse, enfermé chez lui à conserver un gigantesque stock de sa boisson sucrée préférée, il ne se gêne pas pour lâcher sur le monde ses créations biologiques. Drogues, virus, et piratages informatiques se sont fondus en un continuum par la grâce de la nanotechnologie. Alex doit sa notoriété à la création d'un virus ciblé sur certains neurones, qui reproduit les effets d'une drogue. Plus ou moins volontairement, il devient complice d'un projet visant à rendre leur libre-arbitre aux poupées, donnant ainsi naissance à une nouvelle espèce, celle des fées. Et au passage, il va tomber sous la fascination de Milena, fillette surdouée et pas totalement humaine, future Reine de ce Royaume qu'elle veut engendrer.

Une douzaine d'années plus tard, Alex, qui a échappé à ses mauvaises relations d'affaires, recherche toujours Milena à travers l'Europe. Sa quête le mènera aux lisières du Royaume Magique (Eurodisney en ruines, devenu un nid de vraies fées !), puis en pleine guerre civile albanaise, aux lisières de laquelle les différentes factions de la Féerie (et un prophète du Web) règlent leurs comptes obscurs.

Le roman s'articule donc en trois parties, Londres/Paris/Albanie, chacune introduisant de nouveaux protagonistes. Je n'ai guère prisé la conclusion du livre, boursouflée par une abondance de complots entrecroisés que j'ai eu du mal à suivre. J'aurais apprécié plus de développements scientifiques spéculatifs de McAuley, qui en est capable... même si ses explications elliptiques font de Greg Egan un modèle d'intelligibilité. Le fil conducteur de l'intrigue a du mal à émerger — elle est mue par Milena, et Sharkey, même pas haïssable, constitue un guide peu clairvoyant et passablement répugnant. Les seconds rôles à ses côtés restent beaucoup plus marquants. Féerie présente une galerie de figures pathétiques (Armand, le soldat psychotique), grotesques (Katrina, lutteuse infatigable, qui jure comme un charretier ; Todd, le journaliste-vedette aussi creux intellectuellement qu'affectivement), émouvants (Morag, infirmière de l'humanitaire dans les camps de réfugiés de la banlieue parisienne), ou haïssables (Doggy Dog, l'apprenti-truand). Nettement plus mémorables que l'univers à la Bruce Sterling (et ses successeurs) où se déroulent leurs aventures.

Pascal J. THOMAS

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