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Les critiques de Bifrost

Flatland

Edwin ABBOTT
DENOËL
185pp - 3,85 €

Critique parue en février 2000 dans Bifrost n° 17

Classique inclassable, longtemps ignoré en France1, Flatland séduit par sa logique mathématique qui, elle seule , autorise la prouesse de décrire la société d'un univers à deux dimensions, plat, sans haut ni bas, peuplé de figures géométriques ayant leurs mœurs, leur religion, leurs classes sociales. On y apprend ainsi que les Triangles, obtus militaires, sont moins irréfléchis lorsqu'ils se rapprochent de l'isocèle, que la hiérarchie sociale est affaire de segmentation : les formes les plus segmentées se rapprochent toujours plus du cercle, modèle inaccessible de perfection.

Discret pamphlet de l'époque victorienne, ce récit d'un Carré (pas très haut dans l'échelle sociale, donc) appréhendant la troisième dimension, acquiert de fait une dimension universelle quand il s'en prend aux esprits étroits qui refusent d'imaginer quelle perception ils auraient d'un univers doté d'une dimension supplémentaire, autrement dit qui refusent les jeux spéculatifs tels qu'en propose la science-fiction. Message de tolérance, plaidoyer pour l'ouverture d'esprit et la liberté d'opinion, la leçon d'Abbott conserve, plus d'un siècle après, toute son actualité. Mais l'œuvre était indubitablement en avance sur son temps : la façon dont un habitant d'un monde à deux dimensions appréhenderait un être venu de la troisième développe des concepts qu'on ne retrouvera que trente ans plus tard, dans la théorie de la Relativité.

Comme son confrère Lewis Carroll, né six ans avant lui, Abbott est un clergyman qui a développé dans sa littérature un délire basé sur la logique.

Pour ne pas gâcher le plaisir de la lecture, il est déconseillé de commencer par la préface de Manganelli, qui paraphrase plus qu'il ne commente l'œuvre. Lisez-la ensuite si ça vous chante, mais ne manquez surtout pas ce petit bijou fascinant qu'est Flatland. Toute l'essence de la S-F est là et, dans la description d'un univers à deux dimensions, on n'a encore jamais fait mieux !

Notes :

1. L'ouvrage, paru en 1884, ne fut publié en France qu'en 1968 dans la collection « Présence du Futur » chez Denoël, traduit par Elisabeth Gille.

Claude ECKEN

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