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Les critiques de Bifrost

Critique parue en octobre 2000 dans Bifrost n° 20

Il y a déjà quelques années, j'avais été écœuré par le premier des célèbres Livres de Sang. Hauts le cœur, nausées… jamais je n'avais eu les tripes secouées de la sorte par un bouquin. Aussi n'avais-je plus touché à la prose du sieur Barker depuis. En définitive, avec huit années de recul, Clive Barker m'apparaît aujourd'hui comme ayant été le seul authentique écrivain gore. Mais Clive Barker a changé. Et Galilée n'est pas un roman gore même si, au détour d'une page, subsiste une certaine crudité. Par contre Barker reste un écrivain hors du commun : s'il sait choquer, il s'épargne — et nous avec ! — la vulgarité sans pour autant édulcorer son langage. Joli tour de force.

Clive Barker recourt ici au principe du livre dans le livre. Le « Galilée » de Barker est le « Galilée » d'Edmund Maddox Barbarossa. Maddox entreprend d'écrire la chronique de Geary et des Barbarossa. Étant l'un de ces derniers, ce qui lui advient ressort à ce qu'il a à écrire. Et Clive Barker use de la position privilégiée de rédacteur de Maddox pour nous donner, à nous, des éclaircissements nécessaires sur la construction même de Galilée. Ainsi, tel un Petit Poucet, Barker sème au fil du texte, comme partie intégrante, les réflexions de Maddox sur ce qu'il a écrit. Ce roman est le volume d'introduction en quatre parties de cette chronique familiale.

La troisième, qui est aussi la plus longue, emprunte les tons et nuances de la chronique mondaine et du soap opéra pour dépeindre la dynastie Geary. Nous sommes entre Dallas et Point de vue. Cadmus, le patriarche presque centenaire qui tient de Randolf Hearst à moins que ce ne soit d'Howard Hughes ; Loretta, sa seconde épouse, qui consulte des astrologues ; Mitchell, petit fils de Cadmus, beau gosse et fils à papa mais nul au pieu ; son frère Garisson et son ivrognesse de femme, Margie ; et enfin, Rachel Pallenberg, la petite vendeuse provinciale qui a épousé le prince charmant pour voir le château de pain d'épice prendre l'odeur, et la couleur vert-de-gris de la moisissure, le conte de fées ne tardant pas à tourner en eau de boudin parfumée au divorce…

Pour nous autres, lecteurs de fantasy ou de fantastique, les Barbarossa ont tout de suite plus de chien, de moelle. Ce sont des demi-dieux. Au bas mot. Des quasi-immortels. Aussi Barker, fine mouche, a-t-il commencé par eux, histoire de fixer le lecteur. Feu Nicodème, le père obsédé sexuel ; Ceasaria, la mère et sorcière ; Marietta la lesbienne et sa sœur obèse ; Luman, le fils à moitié fou qui vit dans un taudis immonde au fond du parc ; Galilée, l'autre fils, banni, qui hésite entre Juif Errant et Hollandais Volant ; et Edmund Maddox, l'inévitable bâtard de Nicodème, plus humain et donc plus proche du lecteur. Hormis Galilée, tous vivent à L'Enfant, immense demeure magique conçue par Thomas Jefferson… Oui, celui-là même.

La deuxième partie plonge dans le passé pour nous conter la vie de Zelim qui fut témoin du baptême de Galilée sur les rives de la mer Caspienne au temps des Mille et Une Nuits et de la splendeur de Samarcande…

Dans la dernière, on voit Galilée se rapprocher de Rachel Pallenberg. Le décor désormais posé, l'action pourra commencer avec le second tome (qui devrait être tout chaud au moment où vous lirez ces lignes).

Ne serait-ce le talent de Clive Barker, on délaisserait ce tome 1 sans intérêt propre mais qui éveille le nôtre pour la suite. Le livre ne cesse de nous sauter dans les mains, de vouloir se faire lire. Barker a l'art de rendre passionnant jusqu'aux passages les plus mièvres — ou censés l'être au vu de l'action — et donne quelques scènes fortes. Il faudra certes juger sur la totalité, mais, à défaut d'autre chose, il y a déjà la manière… et la superbe couverture de Vincent Froissard.

Jean-Pierre LION

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