Max BROOKS
CALMANN-LÉVY
17,00 €
Critique parue en avril 2009 dans Bifrost n° 54
[Critique commune à World War Z et Le Guide de survie en territoire zombie.]
Un jour, ils sont apparus, les Z, les Zacks, les rampants, et le monde s'est trouvé plongé dans le chaos. Des hordes de zombies ont envahi les villes, les bourgs et les campagnes, dévorant tout être vivant sur leur passage, contaminant les mordus qui réussissaient à leur échapper. Leur obstination et leur nombre les rendait invulnérables, malgré leur lenteur. La panique causa des dégâts considérables, l'humanité entrevit sa fin, mais la résistance s'organisa et l'épidémie de morts-vivants fut vaincue. Voilà, en gros, ce que relate World War Z d'une façon certes très particulière, mais d'une façon magistrale. Un interviewer mandaté par l'ONU a en effet recueilli à travers le monde les témoignages des survivants, ordonnés de façon à suivre l'évolution de la lutte. Premiers symptômes, La Grande Panique, Retournement de situation, Guerre totale sont quelques-unes des parties de ce saisissant patchwork de tranches de vie qu'on peut considérer comme des nouvelles indépendantes les unes des autres, tour à tour circonstanciées, privilégiant l'information ou au contraire humaines, mettant l'accent sur des situations individuelles tragiques.
On devine tout le parti que peut tirer Max Brooks d'un tel procédé : chaque narration, par le jeu des questions-réponses, va droit à l'essentiel, apporte un éclairage inédit sur le contexte de la guerre ou délivre une réflexion philosophique inspirée par un vécu particulièrement pénible ou horrifique. Le récit de l'invasion est avant tout prétexte à un instantané du monde et des problèmes qui travaillent l'humanité : le conflit Israélo-palestinien, les politiques martiale ou répressive de la Russie et de la Chine, la misère africaine, les trafics au Brésil, la ségrégation raciale aux USA, l'égoïsme forcené des Occidentaux, tout est présenté là, par flashs brefs mais éloquents, parfois juste à l'aide d'un terme imagé ou d'une expression en vogue. C'est le souci du détail qui confère à ces témoignages la précision documentaire d'une rare authenticité, encore rehaussée par celle du langage, qui restitue la personnalité en un clin d'œil. Ainsi, pour un ex futur martyr de la bande de Gaza est-il difficile de croire à la politique de la main tendue d'Israël accueillant les Palestiniens dans des camps protégés, alors qu'une ressortissante russe, contrainte de désigner les soldats à exécuter en guise de punition collective, en vient presque à préférer, à la responsabilité individuelle que suppose la démocratie, la liberté que laisse un gouvernement autoritaire, celle qui lui permet de se dédouaner en disant que tels étaient les ordres.
La multiplicité des réactions offre par ailleurs une impressionnante collection de faits divers, touchants ou sordides, cyniques ou empreints de colère ; c'est ici la variété des situations qui fait la richesse des épisodes, réactions de panique suicidaires comme ces fuyards si serrés dans les embouteillages qu'ils ne peuvent sortir des véhicules assaillis par les Z, retour à l'individualisme forcené et à la sauvagerie comme cette famille canadienne se réfugiant dans les régions polaires où les zombies sont assurés de geler, abandonnant sans sourciller sur les routes toute personne un tant soit peu suspecte, envisageant de consommer sa progéniture devant la dégradation de leurs conditions de vie, pitoyables lâchetés ici et intolérable opportunisme là, quand un malin ayant compris que la peur fait vendre écoule des pilules censées protéger de la contagion.
Des témoins ayant participé à la guerre de façon active ne manquent pas de fustiger les réactions imbéciles de l'armée qui n'a pas su s'adapter à l'ennemi ni compris assez vite qu'il fallait frapper à la tête au lieu d'éparpiller l'ennemi avec un obus, les criminelles hésitations des politiques et les abjectes mais nécessaires décisions des deux face à l'inéluctable. L'effondrement de la civilisation est aussi l'occasion de méditer sur sa fragilité et de constater les saisissants renversements de valeur qu'il provoque : les employés occupant des postes de dirigeants ou de commerciaux se révélant inutiles n'ont d'autre choix que de se mettre au service des métiers manuels ou agricoles essentiels à la survie. Bref, cet ouvrage, par sa densité et sa richesse extraordinaires, par la pertinence de ses propos qui en reviennent vite aux valeurs fondamentales, est à lire de toute urgence.
Moins indispensable que le premier, bien que sous-titré Ce livre peut vous sauver la vie, Le Guide de survie en territoire zombie prolonge de façon plus ludique ces récits par des conseils adaptés à toutes les situations — et de nombreuses illustrations de Max Werner, proche des schémas de modes d'emploi — qui rappellent que le port des cheveux courts est préférable aux longs (les Z peuvent les agripper), qu'il faut se méfier des points d'eau (ils peuvent rester indéfiniment au fond), le mode de transport idéal et le choix des armes. Plus fantaisiste que le premier, il se feuillette plus qu'il ne se lit d'une traite, la dégustation d'entrées au hasard étant la forme la plus adaptée à son humour pince-sans-rire, cynique par endroits.