Hérus Tork est un monstre ; il sait se faire oublier et il sait se faire remarquer, si l'on en croit Mérot l'ancien. C'est le méchant de ce roman et, comme tout bon méchant qui se respecte, il a un projet démoniaque : créer une école de magie mixte où pourront (joyeusement ?) copuler les jeunes gens doués qu'il enlève aux quatre coins du royaume. Ainsi sera initiée une nouvelle génération de magiciens, au sang plus riche, aux pouvoirs plus étendus. Pour arriver à ses fins eugéniques, Hérus a besoin d'argent et d'un lieu qu'il lui sera facile de diriger. Arriviste, déterminé, cet abject individu tient plus du fonctionnaire nazi zélé que du Sauron des bacs à sable (ce qui nous change des habituels méchants de fantasy qui, réveillés après une longue cuite de dix mille ans, ont surtout envie de tout péter par l'entremise d'une armée d'orques, d'ogres, de satyres purulents, de dragons et/ou de gobelins — rayer les mentions inutiles). Du côté des gentils, on trouvera un trio de personnages fort bien campés : Madge Mayfield, une Louise Michel couturière ; Arik Renshaw, un magicien surdoué et d'une rare ambiguïté ; et Ian Bren, le Luke Skywalker des environs, le naïf surdoué de ce roman forcément initiatique. Ian, poussé par Arielle, ne pourra que se joindre à la Résistance, puisque la Force est avec lui. Faites péter les tambours de John Williams ! Un conflit se prépare, mais évidemment il ne se déroulera pas comme prévu…
Pour son premier vrai roman (elle avait commis en son temps un « Agence Arkham » tout à fait oubliable), Sylvie Denis n'a pas choisi la facilité, loin de là. Son récit est truffé de personnages, d'intrigues, de sous-intrigues, de rivalités diverses et de romance. D'ailleurs, au début, on ne comprend rien ou presque, la faute sans doute aux chapitres trop courts qui empêchent le lecteur de s'installer dans l'intrigue. Comme dans tout premier roman, il y a des défauts. Ici, c'est le style qui manque de fluidité et évoque souvent une longue chute dans des escaliers ; ce défaut-ci, criant au début du récit, a tendance à s'estomper par la suite. Il y a aussi les influences, parfois gênantes : La Guerre des étoiles, évidemment, le cycle de Robin Hobb, L'Assassin royal, et Shirley Jackson, m'a-t-il semblé. Tout comme chez Hobb, le monde décrit est un monde de carton-pâte, lissé et bancal, malgré de jolies descriptions ; on est loin de la brutalité décalée de La Compagnie Noire, ou du réalisme boueux du Livre de Cendres de Mary Gentle. Dans le même ordre d'idée, Sylvie Denis semble ne pas avoir choisi si son monde était médiéval ou pré-industriel, celte ou franc… Le plus pénible restant le côté « Harlequin » de certains passages, des moments particulièrement douloureux en ce qui me concerne et qui m'ont rappelé à quel point l'Humanité se porterait mieux si Céline Dion, la Star Ac' au complet et leurs clones lobotomisés au miel sentimental étaient brûlés en place publique. « Il y a plus dangereux que l'acide : l'eau de rose. » Et Sylvie Denis serait bien inspirée de se faire tatouer ladite sentence sur le dos des mains.
Pour ce qui est des qualités de l'ouvrage… il y a des moments réellement magiques, des personnages forts (Arik Renshaw en tête de gondole), des scènes de dialogue fort réussies et parfois de très belles descriptions. Et surtout, on ne peut que remarquer l'engagement politique réel qui transparaît au fil du récit ; Sylvie Denis raconte une révolution tout comme Emma Bull et Steven Brust dans Freedom and Necessity (le plus féérique des romans marxistes jamais écrits — une curiosité qui mériterait amplement d'être traduite). Elle écrit ses Lumières à la sauce Harry Potter, un projet original qui nous change de « Grand Méchant s'est réveillé et il n'est pas content ».
Haute-école n'est pas un grand livre, il semble souvent avoir été accouché dans la douleur ; mais on peut juger que c'est un bon livre en mettant dans la balance son ampleur, son faux manichéisme et son engagement politique de bon aloi. En tout état de cause, c'est un premier roman tout à fait honorable et fort lisible (si on survit aux cent premières pages, qui partent un peu dans tous les sens et auraient gagné à être élaguées). Quant à Sylvie Denis, dont les lecteurs de Bifrost (re)connaissent le talent depuis belle lurette, éclairée par les feux de la longue distance, elle semble avoir enlevé son masque pour mieux apparaître en pleine lumière : romantique, gauchiste, progressiste et sensible. Voilà une auteure qui a des choses à dire, mais qui, pour le moment me semble-t-il, les dit mieux dans le cadre de la science-fiction prospective. Espérons qu'elle ne donnera pas de suite à Haute-école pour se concentrer plutôt sur un projet de science-fiction.