Richard COMBALLOT, Francis BERTHELOT, Johan HELIOT, Hervé JUBERT, Catherine DUFOUR, Xavier MAUMÉJEAN, Pierre BORDAGE, Jean-Pierre ANDREVON, Jean-Pierre FONTANA, Michel DEMUTH, Jean-Pierre VERNAY, Jacques BARBÉRI, Jean-Claude DUNYACH, Jonas LENN, Mich
MNÉMOS
352pp - 20,00 €
Il en va de l'édition comme d'un verger : elle évolue au rythme des saisons, passant de l'été à l'automne, de l'hiver au printemps. Et les fruits les plus délicats, ceux par lesquels on réalise que le climat s'est modifié, sont sans doute les anthologies, qu'elles soient thématiques ou, plus délicates encore, générales. La dernière récolte a surtout fait la part belle aux premières et les météorologues du milieu s'accordent tous pour affirmer, avec un indice de confiance élevé, que les anthologies générales ont vécu, que le temps des Escales… au Fleuve Noir, sous le patronage inspiré de Serge Lehman, Jean-Claude Dunyach ou Sylvie Denis, est révolu, rejeté dans l'Histoire. Et voilà que, courageusement, Richard Comballot et l'éditeur Mnémos décident de nous prouver le contraire avec un fruit hors saison aux atours inattendus, Icares 2004. Mais encore faut-il y regarder de plus près, vérifier que cet agrume improbable a bien été cueilli dans le jardin des Hespérides et non ramassé sur le bas-côté du champ.
D'emblée, Icares 2004 surprend. Non seulement parce que Richard Comballot, briscard de la science-fiction francophone, refuse tout carcan thématique dans l'appel qu'il lance à ses auteurs, mais, de surcroît, parce qu'il évite habilement, quand beaucoup d'autres s'y enlisent, la querelle des Anciens et des Modernes. Car il réunit ici le meilleur des deux mondes, ou presque… Dufour y côtoie Jeury (son grand retour ?), Heliot y rencontre Andrevon, Mauméjean y épouse (toutes proportions gardées) Curval. Il n'y a ici aucun parti pris de « jeunisme », ni non plus de passion démesurée pour les « vieux pots ». Le corpus est ouvert, vivifiant. Mordons donc dans le fruit à pleines dents !
La première bouchée, prise au hasard, est délicieusement acide. Avec ses « Mémoires Mortes », Catherine Dufour confirme un talent de plume et fait entendre une voix d'auteur à part entière. Bien au-delà de l'humour sarcastique et de l'idolâtrie pour l'absurde qui sont déjà sa marque de fabrique, ce texte révèle une extraordinaire acuité sociologique et une humanité troublante. Le récit frappe au cœur et laisse un malaise difficile à dissiper. Personnalité et plume équivoques, Catherine Dufour est un auteur à suivre, mais ça, on le savait déjà. Deuxième bouchée, « La Gantière et l'Équarrisseur », de Francis Berthelot, qui s'illustre doublement ici, avec une nouvelle et un essai introductif. L'auteur n'est plus à présenter et son récit, merveilleusement désuet, ressemble à un conte de Flaubert revisité par Andersen. Quant à sa préface, Le Berceau de la fiction, subtile, presque maniérée, elle nous rappelle pourquoi écrire de la fiction revient à s'abreuver inlassablement à la glaise du réel et aux rêves de l'enfance, dans une sublime ambiguïté. Et Berthelot de conclure que la fiction est le Sisyphe de la littérature, « séculaire et éternellement jeune, elle continue à semer la pagaille dans le monde des lettres ». Troisième bouchée, plus légère, plus sucrée, mais laissant derrière elle une amertume tenace, « Astrolabe », de Xavier Mauméjean, véritable fils prodige des dieux de l'écriture échevelée et de l'épopée héroïque. Une réflexion désopilante sur les affres de l'écriture créative confrontée au hachoir de la vente, ou, pour le résumer en une phrase, « après des années d'écriture, il avait obtenu la gloire en jetant trois fadaises sur le papier ». Emporté par l'élan, on dévore rapidement le reste du fruit avec encore quelques bonnes bouchées, comme cette relecture irrévérencieuse des modèles par Johan Héliot dans « Le Robot du devoir », ce style incisif et provocateur de Jacques Barbéri, ce retour savoureux au space opera sous les plumes de Richard Canal et Daniel Walther, le savoir-faire plus qu'accompli de Jean-Claude Dunyach et Pierre Bordage, en terminant par une bonne vieille histoire d'amour, de politique et d'immortalité, par le sieur Philippe Curval qui ne se prend jamais vraiment au sérieux dans « Au tirage et au grattage ».
Oh, bien sûr, il y a quelques pépins, de sorte qu'on se demande, une fois le fruit mangé, si notre appétit a été réellement assouvi. Cette anthologie, après digestion, laisse paradoxalement un souvenir assez vague, comme si ses meilleurs éléments étaient noyés dans la masse. L'absence d'ossature thématique y est-elle pour quelque chose ? Une absence qui n'a pourtant pas nuit à Escales sur l'horizon, anthologie qui brille encore au firmament des bouquins cultes ? Alors, qu'est véritablement cet Icares 2004 ? Un chant du cygne ou le sacre d'un nouveau printemps ? Il n'y a qu'une manière de le savoir, aperto libro.