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Les critiques de Bifrost

Kafka sur le rivage

Kafka sur le rivage

Haruki MURAKAMI
UGE (UNION GÉNÉRALE D'ÉDITIONS)
640pp - 10,10 €

Bifrost n° 43

Critique parue en juillet 2006 dans Bifrost n° 43

On s'étonnera sans doute de trouver dans ces pages la chronique d'un roman nippon qui ne soit pas signé Yôko Ogawa… Pour la majorité des lecteurs, la production du Japon se résume aux mangas ou aux films-catastrophe de série Z, style Godzilla contre les Martiens ou Les Derniers jours avant l'Apocalypse… Les romans de S-F ? Rien à signaler !

Or, s'il a déjà produit au moins deux livres relevant de notre domaine favori (La Course au mouton sauvage et La Fin des temps — tous deux disponibles dans la collection « Points » des éditions du Seuil), Murakami présente la particularité de n'écrire des romans qui ne s'adressent de façon privilégiée qu'aux amateurs de S-F. Pour employer des gros mots, on dira qu'il fait appel à l'intelligence, à l'ouverture d'esprit et au sens du merveilleux caractéristiques des familiers du genre.

Dans Kafka sur le rivage, en effet, tout est à la fois étrange, inquiétant et doux. La cruauté y est une étape de la tendresse, l'insolite une phase du banal, la chair un moment de l'intellect. Le récit débute de manière assez simple : d'un côté, un après-midi de promenade, des enfants tombent les uns après les autres inanimés, puis se réveillent peu après sans paraître autrement affectés par l'incident. D'un autre côté, un adolescent nommé Kafka Tamura s'enfuit de la demeure paternelle et part pour un périple en solitaire.

En excellent romancier, c'est petit à petit que Murakami en appelle aux facultés d'émerveillement de son lecteur. Outre que l'intrigue se complique au fil des pages, ses développements deviennent de plus en plus insolites, et l'on rencontre des personnages et situations auxquels on finit par prêter un côté « ordinaire » comme s'il s'agissait des innovations courantes dans une histoire d'amour entre personnes assez sensées pour ne pas se contenter du quotidien… Les poissons pleuvent, un homme tue des chats en série pour n'en conserver que les têtes qu'il range dans le frigo, une putain discute philosophie, on se livre à des expériences militaires insolites, un personnage sans âge réel remet ses souvenirs en question, et la logique finit par être si tordue qu'on ne s'étonne plus de rien.

À tous ceux qui doutent que le réel soit franchement réel, que l'inattendu reste hors du commun, etc., bref à tous ceux qui considèrent les développements « classiques » du récit comme affreusement ennuyeux, on ne peut que conseiller un auteur comme Murakami, dont l'existence même paraît relever de la S-F.

Emmanuel JOUANNE

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