Chroniquer L'Âge des lumières n'est pas simple. D'abord parce que MacLeod nous a déjà emballé tout net avec son très bon Les Iles du soleil, ensuite parce que la traduction de Jean-Pierre Pugi est tout simplement à tomber et rend justice au style si particulier de l'auteur. Difficile, donc, de garder son calme devant le livre, tant sa qualité est à la hauteur de sa réputation. Fort heureusement, la couverture plutôt repoussante (ce qui a donné lieu à un joli — et vif — débat sur la toile) tempère les ardeurs des hystériques. Reste que c'est l'intérieur qui compte et que MacLeod n'a pas pour habitude de se moquer du monde. Pourtant, entrer dans L'Âge des lumières n'est pas évident. Lenteur de l'histoire, rigueur stylistique, inaction récurrente et scénario somme toute assez banal (malgré l'originalité de départ) limitent le droit d'accès : dans une Angleterre uchronique précipitée dans une sorte d'ère industrielle parallèle depuis le XVIe siècle grâce à la découverte de l'Ether, on suit le parcours d'un jeune homme qui refuse le pouvoir en place et qui va tout tenter pour le renverser. Pas de quoi s'énerver a priori, mais l'Ether est une si jolie trouvaille… Magie incarnée en une substance délétère, c'est elle qui donne à l'Angleterre son pouvoir et sa richesse en pliant la matière à la volonté humaine. C'est elle qui maintient les ponts, c'est elle qui fait tourner le monde, mais c'est également elle qui, en se rendant indispensable, asservit l'humanité. De fait, la société décrite par MacLeod n'a vraiment rien d'utopique. Organisation bureaucratique pyramidale ultra hiérarchisée par l'intermédiaire des guildes, on trouve même des intouchables (ou leur équivalent) qui ont tout des prolétaires si bien décrits par Orwell dans 1984. L'Âge des lumières, roman politique ? Pourquoi pas. Tous les ingrédients y sont habilement mélangés. La critique sociale, la description d'un ordre implacable et immuable, la révolte nécessaire d'un individu et l'idée assez fréquente au Royaume Uni (on peut y voir la très recommandable influence de William Morritz) que le progrès ne justifie pas forcément l'injustifiable.
En fait, l'atout principal du roman reste sa magnificence un peu barrée, un peu baroque. Le style est inimitable, le déroulé des phrases s'autorise maints détours et la beauté générale du décor transporte assez vite le lecteur là où la S-F ne l'emmène que rarement. Aucun doute, Ian MacLeod confirme son exceptionnel talent d'architecte. Le meilleur est sans doute à venir, mais la barre est déjà bien haute, ce dont personne ne songera sérieusement à se plaindre.