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Les critiques de Bifrost

L'Homme démoli / Terminus les étoiles

L'Homme démoli / Terminus les étoiles

Alfred BESTER
DENOËL
592pp - 27,00 €

Bifrost n° 48

Critique parue en novembre 2007 dans Bifrost n° 48

Touche-à-tout de talent, Alfred Bester écrivit nombre de comics (Superman, Green Lantern) et de pièces radiophoniques (The Shadow, Charlie Chan), fut rédacteur en chef d'une revue glamour qui lui permettait d'approcher les actrices d'Hollywood, et ébranla en 1952 le monde tranquille de la science-fiction avec un roman novateur à tous points de vue, L'Homme démoli, lequel lui valut de recevoir le tout premier prix Hugo. Déjà, au début de sa carrière, la revue Thrilling Wonder Stories organisa un concours amateur dans le seul but de récompenser l'auteur débutant de 1939.

L'Homme démoli se situe dans un futur débarrassé du meurtre grâce à une police télépathe qui prévient le crime avant qu'il soit commis. Le coupable est promis à la démolition, à savoir une régression mentale et une reconfiguration des neurones jusqu'à la « renaissance ». À la tête d'un empire industriel, Ben Reich, hanté dans ses cauchemars par un homme sans visage, décide d'abattre son concurrent direct, auquel il a proposé une alliance commerciale. Alfred Bester reprend donc la vieille intrigue policière du crime parfait dans une société censée le rendre impossible. Il dissémine pour cela dans l'arrière-plan de sa société future des éléments qui serviront son intrigue : les extrapers déchus pour n'avoir pas respecté la déontologie des télépathes, les psychochansons qui manipulent l'auditeur avec des messages subliminaux, identiques aux ritournelles qui encombrent l'esprit mais se révèlent en l'occurrence pratiques pour masquer les pensées. Bester a surtout pris le temps de bien structurer un monde où cohabitent des télépathes, distinguant diverses classes en fonction de leurs capacités mentales, imaginant des codes et des règles qui donnent de l'épaisseur et de la crédibilité à sa société. Le space opera qui sévissait à l'époque parut aussitôt suranné. Bien sûr, d'autres facettes du roman retiennent l'attention : au niveau symbolique, chaque personnage représentant un certain type de société. À l'intrigue classique se superpose une dimension psychologique.

Le suspense est constant, Ben Reich dansant perpétuellement sur une corde raide. L'univers n'est plus détaillé d'entrée de jeu mais progressivement révélé, presque de façon incidente, procédé encore peu courant en S-F et qui participe de cette gymnastique mentale dont sont friands les lecteurs, réalisant les conséquences qui en découlent et l'impact non négligeable sur l'intrigue. Bester ne s'embarrasse pas de fioritures stylistiques : il va à l'essentiel, parsemant ses dialogues de courtes descriptions. Un humour discret mais omniprésent retient l'attention ; le texte est truffé de traits d'esprit et d'aphorismes qui le font pétiller, mais aussi rehaussé d'effets typographiques permettant de visualiser l'intrication des pensées, le tout dessinant des calligrammes dignes d'Apollinaire. Avec le recul du temps, l'ensemble, s'il abuse d'artifices, n'en reste pas moins détonant car cette accumulation fait précisément de ce roman mené tambour battant un véritable feu d'artifice.

Terminus les étoiles, moins percutant, repose, lui, sur la téléportation. Gully Foyle, mécanicien, est le seul survivant du Nomad, qui a explosé. Un vaisseau passe au large, qui ne s'arrête pas, malgré les signaux de détresse. Organisant sa survie, Foyle jure de retrouver les responsables. Dans un premier temps, Foyle s'enrichit, en vendant une partie de la cargaison du Nomad dont il connaît les coordonnées ; dans un second temps, il retrouve ceux qui l'ont abandonné à son destin pour les exécuter. On aura reconnu là la trame du Comte de Monte-Cristo d'Alexandre Dumas, emprunt revendiqué par Bester. Gully Foyle se téléporte (on dit « fugguer ») partout où les coupables se terrent, enquêtant dans le même temps sur le grand responsable, Presteign, puissant homme d'affaires disposant de sa propre milice, corrompu au-delà de toute mesure. Mais Foyle lui-même, accomplissant sa vengeance, reconnaît être devenu un monstre coupé de son humanité. Les péripéties s'enchaînent sans temps mort, un peu trop rapidement pour donner de la profondeur au roman.

La présente édition, dans une nouvelle traduction de Patrick Marcel, est complétée par une bibliographie des œuvres de Bester réalisée par Alain Sprauel. Si ces romans ont un peu vieilli, leur lecture reste indispensable pour juger de l'apport de Bester à la science-fiction. Bien que cherchant plus à éblouir qu'à convaincre, il n'en a pas moins révolutionné la façon d'écrire et d'aborder la S-F, comme en témoignent Serge Lehman et Neil Gaiman dans leurs préfaces.

Claude ECKEN

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