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Les critiques de Bifrost

Critique parue en octobre 2005 dans Bifrost n° 40

Monstre sacré de la S-F, Robert Silverberg fait partie de ces rares auteurs à avoir survécu à toutes les époques. Grand professionnel, du bouche-trou au chef-d'œuvre, il a toujours su livrer des textes dont l'intelligence et l'imagination ne sont pas les moindres des qualités. Reste qu'à l'instar d'un certain Philip K. Dick, Silverberg est un novelliste formidable, là où la plupart de ses romans sont souvent un peu longuets.

Etonnante tentative littéraire de montrer la schizophrénie de l'intérieur, L'Homme programmé est un roman honnête et malin, mais qui n'échappe pas à la règle précédemment citée. Condensé en nouvelle, L'Homme programmé serait un vrai bijou, aussi inquiétant que bien vu. Hélas, Silverberg tire nettement à la ligne, se contentant de livrer un agréable roman de S-F. Mais ne boudons pas notre plaisir, la trame narrative du livre procurant de délicieuses sensations de malaise. Imaginez un monde tellement parfait qu'il en devient totalitaire. Dans cette société futuriste, les criminels ne sont ni exécutés, ni emprisonnés, mais bien réhabilités. De la pire manière qui soit : l'effacement pur et simple de personnalité, la construction totale d'une nouvelle identité et, au final, le retour à la vie normale. Sans vice, sans pulsions morbides, sans problème. La vraie liberté. Pour Paul Macy, une nouvelle vie commence. Anciennement Nat Hamlin, sculpteur de génie condamné à l'effacement pour de nombreuses exactions, le voilà réintégré au monde professionnel et citoyen. Un travail, une nouvelle personnalité, tout s'arrange. Mais quand Paul Macy bute littéralement sur une ex de Nat Hamlin, dépressive et manifestement toujours amoureuse de celui qu'il n'est plus, les choses ne sont plus aussi lisses. Titillé par une petite voix intérieure qui pourrait bien être celle de Nat Hamlin, Paul Macy devient peu à peu schizophrène, seul face à un terrible démon, lui-même. Et comme la médecine ne fait jamais d'erreurs, la sinistre présence de Nat Hamlin est évidemment impossible. Quant à la voix intérieure, elle croît de jour en jour. Il se pourrait même qu'elle réussisse un jour à contrôler Paul Macy…

Principalement axé autour des excellents dialogues entre Paul Macy et Nat Hamlin, L'Homme programmé part d'une idée formidable et l'habille d'un décorum très seventies aujourd'hui daté. Liberté sexuelle, communautarisme, usage de drogues comme moyens de perceptions extrasensorielles, autant de notions à la mode dans les années 70, mais désuètes en ce début de XXIe siècle. Reste que le roman y gagne un charme certain, malgré le côté parfois ridicule des situations hommes/femmes.

Au final, L'Homme programmé est l'incarnation idéale d'une angoisse très répandue en S-F : l'invasion psychologique et la perte de contrôle qui s'ensuit. De l'extraterrestre à l'affreux communiste, de nombreux romans se sont penchés sur la question. Robert Silverberg pousse le principe plus loin en plaçant son personnage face à lui-même. Diaboliquement simple et terriblement efficace. On l'a dit, L'Homme programmé n'est pas exempt de longueurs, mais les idées qui y sont développées valent largement le détour. À lire.

Patrick IMBERT

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