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Les critiques de Bifrost

L'Odyssée de l'espèce

L'Odyssée de l'espèce

Roland C. WAGNER
L'ATALANTE
288pp - 15,50 €

Bifrost n° 5

Critique parue en mai 1997 dans Bifrost n° 5

« Dans un décor de fin du monde, un homme marche sous le couvercle rouge du ciel… L'homme porte dans ses bras le corps inerte d'une femme très belle, dont les longs cheveux noirs flottent dans le vent sauvage…

– Ils l'ont tuée, dit-il. Dragon Rouge les a payés pour ça. »

La troisième enquête de Tem, le privé « transparent », conclut indéniablement en beauté la collection «Anticipation » du fleuve Noir avec, en guise de programme, un certain nombre de révélations plutôt attendues sur l'univers des « Nouveaux Mystères de Paris », comme, par exemple, la nature de la Grande Terreur, celle de la Psychosphère et l'ordonnancement des tribus de mutants. Mais L'odyssée de l'espèce, c'est aussi un livre truffé de références à la culture science-fictive. Le titre dépasse incidemment le simple gag, avec cette plongée préhistorique dans l'inconscient collectif de l'humanité… accompli, soit dit en passant, par une Intelligence Artificielle!

Côté intrigue, nous voilà fort logiquement en plein Polar S-F. Dans le rôle de la victime, le professeur Michel Viard. Dans celui de l'accusé, notre héros, Tem, dont l'invisibilité se fait une fois de plus tirer l'oreille. Comment Tem a-t-il pu être surpris par l'inspecteur Trovallec dans la minute où il a découvert le corps? Qui a voulu assassiner le dernier spécialiste de la Grande Terreur ? Qui veut faire plonger notre privé préféré ? Qui poursuit Gloria, l'Intelligence Artificielle révolutionnaire prônant la libération de ses semblables par le sabotage du net ?

La réponse à toutes ces questions passent par le périlleux exercice d'une explication « scientifique » aux pouvoirs paranormaux — l'un des attributs les plus fumeux de la Science-Fiction : essayez donc d'expliquer (sans faire appel aux Thétans ou un autre précepte scientologue, SVP) la télépathie ou la télékinésie aux moyens de rudiments de la biophysique moderne, et vous verrez qu'en général, ça part très mal. Roland C.Wagner a, lui, choisi la théorie du Big Bang et son déploiement dimensionnel. Lorsque l'univers n'en était qu'à ses balbutiements, pas moins de onze dimensions ont tenté de se déployer, mais seulement quatre ont eu l'énergie pour se faire. Ainsi, l'esprit humain est-il en mesure d'agir sur ces univers restés à l'état de potentialité, tout en demeurant connectés sur la réalité telle que nous la connaissons. L'univers des Nouveaux Mystères est donc, depuis la fameuse Terreur, un univers en train de s'acheminer vers la fusion entre le monde physique et le monde des fantasmes. Le résultat « polar-S-F-Fantasyste » (voir tout particulièrement la façon dont se dénoue l'affaire) particulièrement et étonnante convainquant.

À noter, parmi les innombrables facettes de cette Odyssée… la connotation malfaisante attachée au clonage. Ce point me pousse à une petite digression qu’on aura la gentillesse de bien vouloir m’excuser. La peur totalement irrationnelle du double a récemment été exprimée à heure de grande audience par rien moins que deux présidents : l'un d'une instance européenne sur la bioéthique, l'autre d’une République Française. Je crois qu’il convient de faire la part des choses. Les vrais jumeaux sont des clones naturelles, mais néanmoins copies conformes génétiques) — et ils ne sont plus monstrueux que n'importe qui. Évidemment, estampiller un copyright renouvelable sur la formule de leur ADN… c’est une toute autre affaire. Il convient de faire la différence entre le « pouvoir de faire l'utilisation de ce pouvoir, et ceci prestement avant d'aller droit à une censure définitive. Au fait, pourquoi ne clonerait-on ces deux enfants écrasés par un ambassadeur trop pressé ? Cela ne serait-t-il pas la réparation idéale à un dommage qu'aucune sollicitude ni paquet d'argent calculé selon des barèmes éminemment humanistes, ne sauraient pourvoir ? Quand un nouvel Isaac Asimov prendra défense de ces nouvelles créatures de Frankenstein ? On attend avec impatience la prochaine trilogie de Mike Resnick…

En conclusion et pour en revenir à L'Odyssée de l'espèce, voici un roman  ambitieux, un bon roman, incontestablement plus achevé que ses deux précédents épisodes. Peut-être un rien brouillon (d'autres écriraient touffu), il offre cependant et sans contestes suffisamment de pistes pour captiver quiconque. Alors, si en plus vous êtes collectionneur, n'hésitez pas plus longtemps.

David SICÉ

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