Sur la seconde planète de l'étoile Cavanagh (C2), les humains possèdent une modeste colonie où quelques familles vivent plus ou moins comme des mennonites, sous la protection d'un extraterrestre anthropomorphe et végétalien appelé Aras. Celui-ci est un gardien Wesshar, dont le passé de soldat lui vaudrait, sur Terre, un passage au TPI et un emprisonnement à vie, en quarantaine. Car non seulement ce charmant criminel de guerre a commis un génocide, mais il est aussi colonisé par la c'naatat — une sorte de maladie intelligente, très dangereuse, qui lui permet d'augmenter son capital génétique et d'être immortel ou presque. C2, habitée par les Bezeri — sortes de calamars intelligents tout droit sortis de l'imaginaire de James Cameron, merci Abyss ! —, est convoitée par une autre race extraterrestre, les Isenj, qu'Aras a massacrés lors du dernier conflit en date, allant jusqu'à raser complètement leur cité. Et comme ces Isenj sont bien décidés à attaquer à nouveau ; inutile de dire que la situation est tendue. Une tension qui va grimper de plusieurs crans quand un groupe d'humains (dont des marines de l'espace, merci Aliens !) menés par la surintendante Shan Frankland (Sigourney Weaver, au top de sa forme), débarque sur C2 et détruit de façon accidentelle le véhicule d'Aras…
Ma première réaction après avoir laborieusement terminé cet ouvrage dont je n'aurais jamais lu plus de cinquante pages si je n'avais pas promis d'en faire la critique dans Bifrost, c'est d'en déconseiller l'achat, car pourquoi payer 20 euros ce qu'on n'accepterait pas d'un poche à 7 euros ? Mais, à bien y réfléchir, La Cité de perle est un premier roman, le premier tome d'une trilogie de pure science-fiction, une anomalie dans le paysage actuel qui mérite un brin d'indulgence, même si l'anomalie en question souffre de deux problèmes quasi-rédhibitoires :
1/ Karen Traviss met près de cent pages à trouver comment raconter son histoire, ce qui handicape pour le moins son récit, et risque de décourager bon nombre de ses lecteurs potentiels. Elle aurait pu facilement couper ses 90 premières pages de bouillie, en extraire les rares informations nécessaires à son intrigue, et commencer son roman au moment où Lindsay, la cheftaine scout des marines, avoue qu'elle est enceinte (page 91 de l'édition française). Ne lui restait ensuite qu'à placer au bon endroit les bonnes informations, les flash-back aux petits oignons, et à mijoter doucement le tout ; à croire qu'il n'y a pas d'éditeur chez Eos, où le livre a été publié en VO pour la première fois.
2/ On ne peut pas dire que La Cité de perle soit mal écrit dans le sens où ce roman n'est tout simplement pas écrit (problème de traduction, si plate, qu'elle perdrait le combat contre un sandwich Air France ?). À quelques rares exceptions près, l'auteur est incapable de faire une description, de mener un dialogue ou de créer une scène d'ambiance. C2 ne ressemble guère à une planète extraterrestre, mais plutôt à un morceau du Dutch Country transformé en île.
Voilà pour les deux principaux écueils… Passons maintenant aux qualités de l'ouvrage : tout d'abord on accordera à Karen Traviss un vrai sens du détail passionnant (les velourocs, les chemins vivants…) et une inclination assez convaincante pour les problématiques politiques, écologiques et les dilemmes moraux (la condamnation à mort du Dr Parekh ; les épineuses décisions d'Aras).
On imagine sans mal ce qu'un Robert Reed en grande forme aurait pu faire avec le scénario de Traviss et ses meilleures trouvailles, visuelles et conceptuelles, mais celle-ci n'a pas le talent d'un Reed, d'un Card ou d'un Vinge pour l'exercice de xénopensée ; à l'exception du personnage d'Aras (anthropomorphe ou presque, cela va de soi), ses extraterrestres ne présentent aucun intérêt. Pourtant, il y avait de quoi faire avec les Isenj, les Bezeri, les Matriarches et les Ussissi (mes préférés). Ce sera sans doute au sommaire des tomes 2 & 3.
Comme on pouvait s'y attendre, ce qu'il y a de plus réussi dans ce livre raté, c'est l'histoire (d'amour, d'amitié ?) qui se tisse peu à peu entre Aras, le criminel de guerre, et Shan, l'écolo-pragmatico-facho de service… ce qu'on appellera le « volet sentimental » de l'ouvrage.
En conclusion, Karen Traviss, dont on ne connaissait jusqu'ici qu'une mauvaise nouvelle, apparaît sous nos latitudes sans tambours ni trompettes, ce qui ne nous empêchera pas de lui donner une seconde chance, car son sens du détail signifiant combiné à son ambiguïté politique arrive parfois à nous faire oublier qu'elle (ou son traducteur) écrit comme une batterie de casseroles « premier prix ». Dans le même genre, la trilogie d’Omale de Laurent Genefort et les livres d'Alastair Reynolds sont autrement plus convaincants, sans parler de la trilogie d'Orson Scott Card — La Stratégie Ender, La Voix des morts, Xénocide — politiquement puante, mais à bien y réfléchir, pas plus que cette Cité de perle.
« Tous les miracles ont une explication ordinaire. Votre ville de perle est en fait couverte de merde d'insecte. La vie éternelle est un parasite. Les bulles de champagne sont les pets de colonies de levure. Même cette merveilleuse odeur qui monte du sol après la pluie d'été est une bactérie, l'actinomycetes. Ainsi va l'univers. À toi de choisir — regarde la surface fabuleuse ou la croûte en dessous. » (page 318)