M. John HARRISON
FOLIO
338pp - 10,40 €
Critique parue en janvier 2004 dans Bifrost n° 33
Édité partiellement à droite et à gauche dans des collections aujourd'hui disparues (sous des couvertures d'ailleurs répugnantes, pour ceux qui auraient la malchance de les apercevoir un jour), le cycle de Viriconium est enfin accessible dans son intégralité via la collection Folio « SF », qui avait déjà remis Harrison au goût du jour avec l'intéressant La Mécanique du centaure. Space-opera curieux, déjanté et résolument anti-manichéen, ce roman n'a pas vraiment fait l'unanimité, mais c'est surtout son manque de conformisme et son style méandreux qui avaient choqué. Avec La Cité pastel, M. John Harrison trouve l'occasion d'intéresser de nouveaux lecteurs (et de nouveaux moyens de se faire insulter), en proposant un cycle (court, rassurez-vous) qui n'est évidemment pas sans rappeler l'œuvre d'un certain Moorcock. La quatrième de couverture annonce clairement la couleur en parlant de « fantasy post-apocalyptique », dans la mesure où les faits ont lieu dans un lointain futur qui a connu moult gloires, apogées, décadences et effondrements chaotiques. Dernier empire en date, Viriconium est menacé par une reine nordique rebelle, prétendante au trône de la cité Pastel. Tegeus-Cromis, l'un des dernier Methvens encore debout (ces chevaliers et seigneurs de guerre qui assuraient la prospérité du royaume à l'époque du père de la reine actuelle), décide de sortir d'une retraite pourtant bien méritée. Il s'entoure des derniers de son ordre et part à la rencontre des armées de la Reine du nord. Mais ce qu'il trouvera risque de menacer les fondements mêmes du monde tel qu'il l'a toujours connu…
Avec un style qui doit beaucoup à Moorcock (mais un excellent Moorcock, comparable à celui de l'extraordinaire nouvelle « Incursion au Cambodge », incluse dans le recueil Déjeuner d'affaire avec l'Antéchrist en « Lunes d'encre »), Harrison dépeint un monde crédible et inquiétant. L'écriture est étrange, parfois alourdie d'interminables descriptions, mais toujours efficace dans l'ambiance. On retrouve ici la manière de raconter propre à Harrison, qui faisait déjà le plaisir de La Mécanique du centaure, mais dans un genre plus sombre et plus dense. Les scènes de bataille sont hallucinantes, et les perspectives d'avenir de l'humanité angoissantes (c'est un euphémisme). Anti-héros sombre et solitaire, tegeus-Cromis (on l'écrit comme ça, que voulez-vous) rejoint les héros moorcockiens (moorcockesques ?) dans une sorte de spleen existentiel permanent qui n'est pas sans poésie. Pour le reste, le mariage de la fantasy « chevaleresque » (en un sens) et des vieilles technologies oubliées (exosquelettes, dirigeables et robots poussiéreux) fonctionnant toujours aussi bien, ce n'est pas le lecteur qui s'en plaindra. À noter que le texte central est entouré de plusieurs nouvelles déroutantes, se déroulant dans le même univers. Pas nécessaires au premier coup d'œil, ces textes peuvent se lire dans un deuxième temps avec plus d'attention. Bref, si tout se met en place dans cette Cité pastel, on attend beaucoup des tomes suivants (le cycle de Viriconium se compose de trois tomes au total — tous devraient être parus au moment où vous lisez ces lignes). Quoi qu'en pense le lecteur (on aime ou pas la fantasy post-apocalyptique), cela confirme néanmoins le talent de M. John Harrison, injustement méconnu sous nos longitudes. Souhaitons que cette plus large diffusion lui redonne la place qu'il mérite.