Los Angeles, 1961. Jonathan Gates, étudiant en cinéma, fréquente le Classic, « la meilleure salle à l'ouest de Paris ». Clarissa « Clare » Swann et Don Sharkey y diffusent la production underground ou les nanars de drive-in. Lors d'une projection, Jonathan découvre un film de Max Castle. Ce qui ne semble être qu'un serial des années 30 génère un profond malaise dans le public. Intrigué, Gates visionne d'autres réalisations de Castle, comme Docteur zombie ou La Maison sanglante. À chaque fois, l'impression de dégoût se confirme. De plus, les différents métrages, signés parfois d'un pseudonyme, font preuve dans certains plans d'une incroyable modernité. Castle a ainsi inventé la technique de caméra sur l'épaule, attribuée trente ans plus tard à la Nouvelle Vague. Partagé entre répugnance et admiration, Jonathan cherche à en savoir plus. Il retrouve d'anciens collaborateurs du cinéaste qui s'accordent tous à voir en Castle un génie. Max von Kastle, exilé à Hollywood en 1925, disparu en 1941 lors d'un naufrage, est l'inventeur du Unenthüllte, le non-révélé, une technique subliminale permettant d'infuser des images par persistance rétinienne. Castle agissait sous la surface consciente et pénétrait l'esprit, dans ses films ou les chefs-d'œuvre expressionnistes de Murnau et Lang qu'il a parasité. Mieux, Castle travaillait sur Au cœur des ténèbres, projet avorté d'Orson Welles. Contre l'avis de Clare, devenue sa maîtresse, Jonathan entreprend de reconstituer la filmographie du réalisateur maudit. Ses recherches le conduisent aux Orphelins qui recueillirent Castle durant sa jeunesse. Héritière des Cathares, la congrégation religieuse a développé le principe de l'image mobile depuis deux mille ans. Mais elle répugne à parler de Castle, tenu pour apostat. La communauté place aujourd'hui tous ses espoirs en Simon Dunkle, réalisateur adolescent de Massacre au fast-food, considéré comme l'égal de Dreyer ou Cocteau. Les productions trash de Simon, qui voit en Castle son mentor, séduisent les masses et la critique. L'Apocalypse peut commencer…
De Theodore Roszak, on ne connaissait en France que Puces (Seghers, 1982). La Conspiration des ténèbres a mis dix ans pour être traduit. Souhaitons qu'il n'en faille pas davantage pour The memoirs of Elizabeth Frankenstein, lauréat du James Tiptree Award 1995. Flicker, titre original du roman, désigne le scintillement résultant du passage entre l'image et le noir. De fait, Roszak décrit le conflit primordial opposant lumière et ténèbres à travers les siècles. Zoroastrisme, prophéties d'Ezéchiel ou gore movies partagent un même but : éradiquer la race humaine en provoquant le dégoût de soi, une haine du corps conduisant à l'abstinence. Réalisateurs géniaux ou tâcherons de surfs movies conspirent à déflorer l'œil par l'image ; privé de son innocence, il découvre l'horreur du monde.
La Conspiration des ténèbres est à lire sur la plage, dit le critique du Washington Post en quatrième de couverture. Et Caligari fait du taï-chi au Watergate ! Ici, rien à voir avec le pavé estival façon Da Vinci Code. En étayant sa démonstration par des références à Kracauer et Jean Mitry, ou des apocryphes attribués à Orson Welles et John Huston, l'auteur renforce la confusion entre réalité et analogon, jusqu'à produire en fin de volume une filmographie de Max Castle. Cette mise en abîme ne pouvait être complète qu'en adaptant le roman au cinéma. C'est chose prochainement faite, par la grâce du réalisateur Darren Aronofsky (Pi) et de Jim Uhls, scénariste de Fight Club. Vivement.