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Les critiques de Bifrost

La Mère des tempêtes

La Mère des tempêtes

John BARNES
LIVRE DE POCHE
672pp - 8,60 €

Bifrost n° 8

Critique parue en mai 1998 dans Bifrost n° 8

En représailles aux menaces de la Sibérie mafieuse, l'ONU envoie des missiles dont les explosions libèrent le méthane emprisonné dans les glaces du pôle, des millions de tonnes qui vont accélérer l'effet de serre et provoquer des tornades d'une ampleur inouïe. Roman catastrophe fort bien documenté, ce récit présente aussi avec réalisme le début du XXIe siècle, dans ses aspects techniques, géopolitiques et sociaux. Sa polyphonie permet de mettre en scène des personnages qui sont autant de clés pour comprendre cette époque : Jesse, jeune étudiant, dont le frère, Di Callare, est un météorologiste tentant de prévoir les cataclysmes à venir, est amoureux de Naomi, une unitariste préoccupée par la politique, dévouée à la cause de l'humanité, aussi altruiste que Jesse peut être égoïste ; Mary Ann Waterhouse, alias Synthi Venture, vedette porno du XV, ce média qui, par le biais d'un implant dans le crâne des acteurs, permet à ceux qui se branchent d'éprouver leurs émotions, participe à la transformation du journalisme en bouillie de fictions où l'actualité sert de trame narrative à des épisodes rehaussées de chaudes séquences ; Berlina Jameson, par ses investigations tenues pour obsolètes, tente de redonner au journalisme ses lettres de noblesse ; Caria Tynan, chercheuse émérite, aime la solitude et son indépendance autant que son mari Louis, astronaute en orbite autour de la Terre lequel, en tentant de réparer les programmes des robots lunaires, voit son cerveau infecté et amélioré par des logiciels d'optimisation qui rendent son esprit toujours plus performant, sa pensée augmentant à la cadence de onze cerveaux année par minute ; John Klieg, richissime homme d'affaires qui ne fabrique rien mais dépose des brevets obligeant les industriels à payer des droits de péage, caricature du patron de Microsoft (dont la société porte le nom transparent de GateTech), prévoyant la destruction des bases spatiales implantée près des côtes, profite de la catastrophe en proposant le lancement d'une voile géante dont l'ombre portée sur la terre refroidira suffisamment l'atmosphère pour dissiper les cyclones ; Britanny Hardshaw, présidente d'Etats-Unis bien affaiblis, conseillée par Harris Diem au jugement politique très sûr mais à la dépravation sexuelle exacerbée, essaye de sauver son pays particulièrement exposé…

Métaphore du cyclone provoqué par la violence humaine, Randy Householder traque les commanditaires de la cassette dont sa fille fut l'involontaire héroïne violée et assassinée. II devient à lui seul une tornade meurtrière s'abattant sur tous les auteurs du trafic.

Les ravages de l'ouragan bouleverseront pareillement les individus : alors que Jesse devient plus altruiste, Naomi apprend à penser et à exister aussi pour elle, Synthi Ventus retrouve son innocence et moralise le XV, Louis Tynan devient un pur esprit capable de contrer les visées hégémoniques de Klieg… Cette magnifique construction intellectuelle est malheureusement trop froide pour transmettre au lecteur les émotions de ses foisonnants personnages… à moins de se brancher sur le XV Mais on reste cependant impressionné par l'ampleur de ce livre, sa documentation précise : les émotions peuvent aussi être intellectuelles.

Claude ECKEN

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