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Les critiques de Bifrost

Le Bouclier du temps

Poul ANDERSON
LE BÉLIAL'
501pp - 24,00 €

Critique parue en juillet 2009 dans Bifrost n° 55

Enfin ! On aura mis le temps (aha), mais, avec la publication de ce Bouclier du temps, le cycle, majeur, de La Patrouille du temps est enfin disponible intégralement en français. Louons donc le Bélial' et Jean-Daniel Brèque pour leur édition de ce monument de la science-fiction, très justement récompensée aux dernières Utopiales par un Grand Prix de l'Imaginaire. Une injustice est réparée, et le lecteur français ne saurait s'en plaindre.

Poul Anderson est régulièrement revenu sur ce cycle pendant une quarantaine d'années, ce qui suffit déjà à lui conférer un caractère exceptionnel ; à bien des égards, La Patrouille du temps est l'œuvre d'une vie. Rappelons-en l'essentiel : Manse Everard, Américain du XXe siècle, passe un jour une série d'entretiens mystérieux qui l'amènent à intégrer la Patrouille du temps. L'institution a été fondée par nos lointains descendants post-humains, les Danelliens, après la découverte du voyage dans le temps, afin de lutter contre l'éventualité de toute modification de l'histoire susceptible d'empêcher leur apparition. Manse Everard devient vite un agent non-attaché, et remplit nombre de missions à travers le temps, mais essentiellement dans notre passé, qu'il s'agit pour lui de préserver. La Patrouille du temps s'avère donc avant tout être un cycle prenant l'histoire pour base : si les paradoxes du voyage dans le temps sont bien entendu régulièrement évoqués, l'essentiel est cependant de faire vivre à Manse Everard et à ses collègues de palpitantes aventures dans le passé, appuyées généralement sur une solide documentation (quand bien même on peut renâcler ici ou là devant quelques simplifications abusives, ou, en sens inverse, devant le didactisme old school de certaines aventures — c'est tout aussi vrai pour ce dernier volume).

Le Bouclier du temps, dernier récit de la Patrouille, est un long roman, le plus long texte que Poul Anderson ait consacré au cycle. Et il se pose très vite en apothéose sous forme de bilan, recoupant tous les principaux éléments de la série. Il est cependant possible de le découper en trois parties, reliées par de brèves séquences de transition.

Dans la première, « Les femmes et les chevaux, le pouvoir et la guerre », on retrouve le versant le plus aventureux du cycle : Manse Everard y poursuit en effet la lutte (entamée dans les deux précédents volumes) contre les Exaltationnistes, sortes de terroristes temporels, cette fois dans la Bactriane du IIIe siècle av. J.-C, un cadre superbe et brillamment utilisé.

Dans la deuxième partie, « Béringie », prenant pour cadre une terre préhistorique depuis longtemps disparue, nous suivons cette fois Wanda May Tamberly, la charmante jeune fille dont on avait pu faire la rencontre essentiellement dans « L'Année de la rançon », court roman initialement destiné à la jeunesse repris dans le troisième volume du cycle, La Rançon du temps. Pourtant, il ne s'agit pas cette fois d'une aventure débridée : avec cette très belle séquence, où le dilemme posé par les interventions de la Patrouille ressurgit, Poul Anderson explore à nouveau avec talent le versant le plus intimiste et psychologique de La Patrouille du temps, celui du chef-d'œuvre « Le Chagrin d'Odin le Goth » (tome 2 — Le Patrouilleur temps) et de « Stella Maris » (dans le tome 3).

Enfin, la troisième partie, « Stupor Mundi », réunit Manse Everard et Wanda May Tamberly pour une saisissante variation de « L'Autre Univers » (tome 1 — La Patrouille du temps) : l'histoire a été modifiée, suscitant l'apparition d'un futur uchronique. Il s'agit dès lors pour nos héros de rétablir l'histoire telle que nous la connaissons, le point de divergence se situant en Sicile au XIIe siècle ; mais cela s'annonce plus difficile que jamais, à tous les points de vue… et peut-être tout simplement vain, l'entropie étant de la partie.

Les amateurs ne seront pas déçus du voyage : on retrouve bien dans Le Bouclier du temps tout ce qui faisait la saveur des trois précédents volumes. Poul Anderson, quand bien même il sombre parfois dans le travers du didactisme — mais ces passages se lisent malgré tout fort bien —, nous rappelle ici qu'il était un conteur d'exception. Et si ce dernier roman n'atteint pas la perfection de la novella « Le Chagrin d'Odin le Goth », si l'on peut bien en critiquer quelques aspects (la lourdeur des passages amoureux, s'il ne fallait en citer qu'un), il ne s'en révèle pas moins efficace et passionnant. L'auteur y fait preuve d'une maestria tout à fait remarquable dans l'usage du thème classique du voyage dans le temps, multipliant les sauts en arrière et en avant sans jamais perdre le lecteur pour autant, ni achopper sur l'écueil des paradoxes insurmontables. Poul Anderson rassemble ici tous les éléments de son cycle, dont la cohérence éclate au grand jour, tout en en révélant de nouveaux aspects plus ou moins perceptibles jusqu'alors : on ne saurait imaginer meilleure conclusion à l'ensemble.

Ajoutons que la traduction de Jean-Daniel Brèque est comme il se doit irréprochable, et que cette édition se voit complétée par une intéressante postface de Xavier Mauméjean. Les lecteurs des trois premiers tomes ne sauraient donc faire l'impasse sur ce dernier volume ; quant aux autres, on ne saurait trop les engager à la lecture de ce cycle majeur de la science-fiction. Il est heureux que les lecteurs français puissent enfin redécouvrir aujourd'hui l'œuvre de cet immense auteur du genre, et l'on ne peut que souhaiter de nouvelles parutions de semblable qualité.

Bertrand BONNET

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