Chroniquant Un Feu sur l'abîme de Vernor Vinge dans ces mêmes pages, Philippe Boulier remarquait que le seul moyen d'écrire du space opera aujourd'hui, le matériau étant si ringard, consistait en une approche parodique telle que pratiquée par Red Deff. Avec un titre comme Le Chant du cosmos, qui en évoque tant d'autres, l'ombre de Red Deff ne peut que planer sur ces mondes improbables et ces extraterrestres aux mœurs impossibles On en trouve autant que de traits d'humour, à tous les niveaux du récit. Ainsi cette remarque très secondaire à propos d'un logiciel domotique : « Des fois, il fonctionne un peu de travers, à cause d'un virus qu'il a récolté en échangeant des données avec un réseau infecté durant l'épidémie de grippe virtuelle de 42... ».
Mais le roman reste très wagnérien par les thèmes qu'il exploite et la structure de l'intrigue. Il doit beaucoup à Cette Crédille qui nous ronge, pour les principaux motifs, considérablement développés ici, mais aussi aux Futurs Mystères de Paris : violence rare, ayas se manifestants sur de multiples supports, pouvoirs psychiques en relation avec les vibrations de l'univers.
Ici, les Penseurs dotés d'un talent psy se livrent au « Jeu », un combat mental qui perd sa dimension sportive quand il est perturbé par les Incisifs prêts, pour gagner, à transformer leurs adversaires en légumes. Sur Diasphine, le jeune Océanien Yeff, éduqué par sa muse, Clyne, devient un champion jusqu'à ce qu'il affronte un Incisif dont les buts réels dépassent de loin le Jeu. Le maèdre, la mignonne peluche qui choisit de suivre Yeff (et qui rappelle d'autres créatures wagnériennes), n'est pas qu'un amusant animal de compagnie mais une clé du mystère. Cette première intrigue n'est qu'un élément d'une affaire plus vaste concernant les agissements frauduleux d'une importante société interplanétaire, lesquels s'inscrivent dans un complot plus vaste encore. La résolution de ces énigmes permet de jeter un regard nouveau sur la nature même de l'univers : le monde, chez Wagner, n'est pas qu'une toile de fond sur laquelle s'agitent ses personnages. Il est le sujet principal, et l'intrigue le révélateur menant à son interprétation, laquelle vise régulièrement à édifier une synthèse spiritualiste et matérialiste de l'univers. Il est d'ailleurs toujours réjouissant de lire les habiles théories que brosse l'auteur pour concilier le parapsychique et la physique, ici en faisant appel au bruit de fond de l'univers et aux vibrations des particules.
Le récit se déroule sur trente ans et sur autant de planètes que de sauts narratifs : ce n'est pas le moindre mérite de ce roman que d'étaler une intrigue dans le temps plutôt que d'accumuler les concours de circonstances permettant de la condenser. Ce parti pris est celui qui convient le mieux à un space opera : s'il dilue le suspense, il donne à l'univers toute sa chatoyante ampleur, une dimension ludique et exotique qu'il serait dommage de gâcher.