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Les critiques de Bifrost

Le Continent déchiqueté

Laurent GENEFORT
FLEUVE NOIR

Critique parue en janvier 1998 dans Bifrost n° 7

 

S'il est une chose qu'on ne peut reprocher à Laurent Genefort, c'est un manque d'inactivité littéraire, En effet, celui qu'on présente souvent comme l'un des grands espoirs de la S-F francophone écrit beaucoup, condition proprement incontournable — sauf rares exceptions — pour qui espère vivre, par chez-nous, de ses accouchements science-fictifs. Ainsi ses ouvrages paraissent avec une régularité de métronome : un titre tous les trois mois au Fleuve Noir. Une cadence qui aurait même tendance à s'accroître, puisque notre auteur vient de publier Typhon, son dix-huitième roman, chez Seno dans la collection « 4 D » (Le continent déchiqueté étant, quant à lui, son dix-septième titre).

Tous les livres de Genefort, ou presque, s'inscrivent dans le même univers de manière plus ou moins affirmée : une projection futuriste dans laquelle la race humaine s'est implantée très loin dans la galaxie grâce aux Portes de Vangk, « artefacts spatiaux créés il y a cent mille ans par une espèce disparue, les Vangk, permettant de voyager instantanément entre les mondes ». Bref, un univers hyper-technologique extraordinairement vaste où la race humaine est omniprésente.

Le Continent déchiqueté est l'histoire d'une cohabitation forcée entre deux êtres que tout oppose, deux humains contraints de s'associer pour survivre. Sureau est un planétaire natif d'un monde de glace où les règles, tant morales que sociales, sont dictées par une stricte religion. Lemuel, quant à lui, est né sur l'arcologie Elikale, un astéroïde abritant depuis deux cent ans une communauté de quelques dizaines de milliers d'humains particulièrement adaptés à la vie dans l'espace. Lemuel n'a de fait jamais connu les contraintes de la gravité. Alors que Sureau est en visite sur Elikale afin de mener à terme une tractation commerciale d'importance, et qu'il entreprend, sous la conduite de Lemuel, la visite d'Elikale, l'arcologie est violemment attaquée par une flotte non identifiée. Seuls survivants, les deux hommes se réfugient en catastrophe sur Firmajo Fluganta Ophii, véritable « tranche » de planète totalement artificielle en orbite à proximité d'Elikale, un monde sauvage créé de toute pièce par la caste des techniciens Yuweh, une organisation très fermée spécialisée dans la terraformation planétaire. Cloués sur un monde dont ils ne connaissent rien, en but aux éléments et créatures de toutes sortes, Sureau et Lemuel devront lutter pour survivre.

Le décor est planté, un canevas très classique : des robinsons naufragés découvrent, avec un minimum de matériel, un monde totalement inconnu. Et on le sait depuis longtemps, en matière d'environnements bizarres, Genefort en connait un rayon (Arago ou Le sang des immortels pour les jungles exotiques, L'opéra de l'espace pour les visions technologiques étonnantes). Pas de surprise, donc, l'auteur nous livre ici, une fois de plus est-on tenté d'écrire, son quota d'étrangeté et de dépaysement. On soulignera tout particulièrement la remarquable évocation d'Elikale en début d'ouvrage, un univers technologique confiné et autarcique très convainquant. En revanche, Firmajo manque considérablement de relief, une constatation étonnante chez un auteur qui, généralement, fait preuve d'un net souci du détail et de la vraisemblance. Ainsi, les visions de Genefort ne parviennent que très rarement à saisir le lecteur, certains passages étant même assez obscurs. Il est des scènes qui, incontestablement, auraient gagné à être développées. De même les relations entre les deux protagonistes, ce qu'on aurait pu supposer être la charpente, l'ossature du roman, ne présentent en définitive qu'un intérêt très relatif, l'évolution psychologique des deux personnages n'étant rien d'autre, au final, que fortement prévisible.

Que dire de plus ? Le contient déchiqueté n'est pas un (trop ?) mauvais bouquin. Ce n'est pas non plus un Genefort exceptionnel, loin s'en faut, très en-dessous, par exemple, de L'opéra de l'espace (qui demeure à mon sens son œuvre la plus achevée). Gageons que les amateurs de space opera y trouveront malgré tout le compte, gageons aussi qu'ils n'y trouveront guère plus. Dommage.

Olivier GIRARD

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