Au bord d'une mare, une femme à la peau bleue se coiffe... C'est sous cette illustration trompeuse, trop sage, que se voile une fantasy aussi épique que tragique de la plus belle plume : celle de Jean-Louis Fetjaine, dont c'est là le premier roman. Un roman sombre et fort, au carrefour de la mythologie celte et de l'épopée arthurienne, dont le ton emprunte à l'Excalibur de John Boorman. Une arthurienne de plus, me direz-vous ? Oui. Mais la légende arthurienne est un matériau de tout premier choix pour qui veut inscrire sa fantasy dans la veine historique. Cependant, si noble que soit le matériau, il a déjà été forgé sur plus d'un feu ; citons Marion Zimmer Bradley, Stephen Lawhead, ou encore Gilles Servat pour des œuvres récentes estampillées fantasy – et Jean Markale pour une réécriture du mythe. On peut écrire de la fantasy sur la base des légendes des indiens Hopi ; ce qui n'est pas un sport pour européens. Par contre, la légende du roi Arthur est la borne blanche d'un celtisme très en vogue que se partagent la France et le monde anglo-saxon. Sur ce thème-là, même une approche originale ne produira pas un roman original. Grand est donc le risque de lasser ; c'est pour l'auteur un défi à relever.
Jean-Louis Fetjaine n'a pas inscrit la tragédie là où on l'attend d'un roman arthurien : dans la mort du roi. D'ailleurs d'Arthur, point. ll a trouvé mieux que la mort d'un homme : celle de tout un univers. À l'instar de Stormbringer – le roman de Moorcock – ce Crépuscule des elfes (comme celui des dieux) illustre la fin d'un monde, une inexorable apocalypse en forme de changement de paradigme.
En ce temps-là, alors qu'Uther était jeune encore, elfes, nains et hommes vivaient en paix : les elfes en harmonie avec la nature, plantes et animaux à qui ils parlaient ; les nains, forgerons nés, maîtrisaient les magies minérales. Et les hommes... l'art cynique de la politique et de l'intrigue ainsi qu'il apparaîtra au fil du livre.
Les personnages sont moins d'une trentaine en tout et pour tout – une douzaine sont importants. Au commencement, Pellehun, Baldwin et Llandon, rois des hommes, des nains et des elfes, sont réunis pour apprendre de Baldwin qu'un roi nain a été assassiné par Gael, l'elfe gris. Une compagnie formée de l'elfe Till, Lliane, la reine des hauts-elfes, le chevalier Uther, le guerrier Freihr, les nains Tsimmi, Miolnir et Rogor, respectivement sorcier, chevalier et héritier du défunt roi déguisé en page, part donc à la recherche de Gael. Blade, l'assassin à la solde du sénéchal Gorlois, conseiller de Pellehun, les rejoindra après avoir occis deux autres compagnons de moindre importance... Rien que de très classique malgré des nains rapportés de la légende des Niebelungen ou de chez Tolkien. La compagnie croisera tout un panthéon plus que de trolls, de gobelins et de gnomes... mais le monde était alors bien différent. Outre la mort d'un roi, les nains se sont vus dérober Caledfwch (Excalibur), le talisman majeur qu'ils tenaient de la déesse Dana. Quant aux elfes gris, ils ont été la cible de pogroms de la part des nains et en nourrissent rancune. Dire que les relations au sein du groupe sont tendues relève de l'euphémisme charmant.
Aussi, après qu'Uther a enfin démasqué Blade, nains et elfes s'affrontent une fois que Rogor a jeté le masque à son tour. La compagnie éclate. Ne restent qu'Uther et Freihr, la reine Lliane et le maître maçon Tsimmi, qui ne retrouveront Gael que pour découvrir qu'il appartenait à la guilde des assassins, à l'instar de Blade qui vient de le tuer. Tsimmi trouvant la mort, rien, désormais, ne pourra plus empêcher la guerre de dévaster le monde...
Fetjaine n'a pas oublié d'écrire un roman et non une tragédie. Aussi, si le discursif domine, l'action le soutient et le visuel n'a pas été négligé, au contraire. Son écriture fluide nous fait voir, mieux, sentir un monde froid et liquide, de brume, de bruine, d'eau omniprésente, de boue et de marais glacés, de forêts profondes et détrempées. Il nous fait éprouver ce monde elfique presque monochrome pour mieux empreindre sa tragédie de la nostalgie et du deuil d'un univers. C'est une allégorie du désenchantement du monde ; d'un monde qui ne sera plus jamais le leur – celui des elfes, des nains... Sous la plume de Fetjaine, le bien ne chevauche pas chaussé des mêmes bottes que la chrétienté incarnée par Pellehun et Gorlois Il donne à son roman une sensualité liquide et pénétrante qui confère au drame une intensité fluide où les personnages ne prennent corps que pour mieux s'y noyer. Le seul bémol ressortit à l'action qui, sur la fin, doit conduire à la nécessaire mort de Tsimmi et qui tarde à venir, nous offrant un combat contre des loups du genre Fenris puis des gobelins venus de hors la trame du récit Il aurait à mon sens fallu qu'il fut tué par un elfe, voire un homme.
Que cet ouvrage ait trouvé place chez un éditeur de littérature générale plutôt que chez un spécialiste du genre tel L'Atalante, Pygmalion ou Rivages, s'explique tant par la qualité de l'écriture que le classicisme du thème. Ce crépuscule n'en est pas moins héroïque, avec ce qu'il faut d'épreuves et de combats pour combler tout un chacun. Fetjaine n'a pas forcé le trait psychologique insiste sur la noirceur ni sur l'action ; il s'est battu avec les armes de la tragédie pour forger son succès. Car, à n'en pas douter, c'en est un. La fantasy française n'est que bien rarement à pareille fête.