Margaret ATWOOD
UGE (UNION GÉNÉRALE D'ÉDITIONS)
480pp - 9,20 €
Critique parue en avril 2005 dans Bifrost n° 38
Margaret Atwood, auteur récompensé par le prestigieux Booker Prize, a écrit plus d'une trentaine de livres. Son dernier ouvrage, Le Dernier homme, « chef-d'œuvre d'anticipation », a été lui aussi nominé pour ce prix en 2003.
Le titre français du roman, lourd en références, annonce une histoire qui va osciller entre robinsonnade et cataclysme. Le récit se déroule linéairement le long de deux axes temporels. D'un côté l'axe post-cataclysmique, où le narrateur décrit ses obsessions et l'univers chaotique qui l'entoure, de l'autre, l'axe ante-cataclysmique présentant les principaux protagonistes, immergés dans une société sur le déclin. Au fur et à mesure de la double narration, le récit montre les problèmes rencontrés par le narrateur dans une Nature hostile : bêtes génétiquement modifiées, raréfaction de la nourriture, météorologie instable, obsession du passé ; un passé qui, comme dans un miroir, met en place une mécanique de l'apocalypse : recherche scientifique dénuée de morale, obnubilation du commerce et du rendement, retranchement de certaines communautés, écologie malmenée… La synergie des trois personnages principaux (Jimmy, le narrateur malchanceux ; Crake, le scientifique cynique ; Oryx, la femme-enfant) va jouer un rôle prépondérant dans la fin de l'humanité et le remplacement de celle-ci par des êtres créés en laboratoire.
La charpente de la fiction est convenue. Sans donner de date précise, l'auteure crée une anticipation qui est une emphase des défauts de notre société. Les thèmes traités forment une liste exhaustive des lieux communs issus de la littérature apocalyptique. L'accent est mis notamment sur la perte des valeurs morales de la société. Cette accentuation est parfois trop lâche, comme une approche trop rapide de certains détails ; a contrario l'auteure se perd çà et là dans de longues digressions, comme par exemple les chapitres consacrés à la pédophilie, qui s'apparente alors plus à une tentative de sensationnalisme que d'analyse sociale.
Le texte se dilue dans la dénonciation, parfois trop naïve, parfois trop conformiste, et rate le coche, parce que servie par un discours disparate et rapide. Au centre de la problématique, Le Dernier homme illustre tragiquement la place incertaine de l'individu dans une société de plus en plus subordonnée aux multinationales et au profit. Même en tentant de le cacher sous le fard de l'hésitation et de l'aporie, la fiction tombe pourtant dans une dichotomie banale.
Ce roman n'assume en rien l'héritage littéraire auquel il fait référence. En fait de fable prophétique, le récit tombe souvent dans le jugement de valeur et l'ironie du moment. Servi par une écriture simple et envoûtante, ce livre ne manquerait pas d'intérêt s'il avait été la première œuvre d'anticipation cataclysmique. En fin de compte, ce texte, bien fait mais diaphane, a pour principal mérite de donner envie de (re)lire les grands récits cataclysmiques : Malevil et Ravage en tête.