On se souvient encore avoir découvert Glen Cook avec l'extraordinaire trilogie La Compagnie Noire, une fantasy déclinée selon les modèles du roman noir. Notre auteur récidive ici en s'attaquant cette fois au space opera. Le ton hardboiled se ressent moins ; l'effet s'en trouve amoindri. De fait, ce roman est beaucoup plus classique que l'était La Compagnie Noire. Ça n'en reste pas moins du space opera pur jus, du beau, du gros qui sort du tonneau…
L'Espace Canon est une énième mouture du l'empire galactique sur laquelle est superposé un réseau de communication que parcourt sans fin une invincible armada de vaisseaux assurant une paix conservatrice sur des mondes qui sont autant de fiefs féodaux — les ravageant au besoin. A l'extérieur, d'autres puissances aimeraient faire main basse sur l'Espace Canon, perçu comme sclérosé, ne serait-ce l'insurmontable obstacle de la flotte. A l'intérieur, la noble maison Tregesser aimerait secouer le joug des vaisseaux et devenir calife à la place d'un calife éternellement absent de cet empire automatique. Mais qui ? Le père, la fille ou le petit fils ? Ou bien Lupo Provik, leur machiavélique éminence grise ? Encore leur faut-il jouer double jeu afin de ne point se faire doubler par leurs puissants alliés respirant du méthane. L'immortel guerrier kieu Kez Mafaele, dernier des Mohicans d'une race jadis vaincue par Canon, qui sait que les vaisseaux peuvent être défaits, est un atout maître qu'il serait bon pour tous d'avoir dans leur manche. Mais lui aussi joue sa propre partie contre les Belligérants du Gemma VII acharné à sa neutralisation. Ça complote et ça trahit à qui mieux mieux. Ça progresse de violentes escarmouches en grandes batailles cosmiques…
Bien qu'il s'agisse là de space opera, on peut s'essayer à y traquer quelques traces spéculatives dans la structure sociale de Canon. Alors que l'immortalité est classifiée (réservée aux militaires), des nobles comme Tregesser s'en sont emparés à leurs propres fins. A côté de ça, on verra que la fracture sociale est telle que Jo Klass et AnyKaat, deux militaires armées, se trouvant sur une planète Canon, sont dans l'incapacité de rejoindre leur unité. Bien sûr, Canon et sa flotte sont une métaphore évidente des Etats-Unis, de l'Air Force et de l'U.S. Navy — du nouvel ordre mondial. De même, on pourra voir dans les alliés des Tregesser, les Hérault de Dieu, une métaphore de l'Islam Wahabbite. Oui dit roman noir, dit amoral — quant aux personnages s'entend. Et donc politiquement incorrect. Tous des salauds, mais seulement des salauds ambigus, relatifs. Les rôles sont donnés et chacun est face à la fatalité de celui qui lui est échu.
Livre touffu et un peu confus par moment, notamment au début, Le Dragon ne dort jamais est une incontestable réussite dans le genre, celui du space opera sans réelles prétentions. Il ne sera bien sûr indispensable qu'aux seuls inconditionnels du domaine, mais les autres y trouveront un agréable divertissement et seraient bien bête de bouder leur plaisir. Voilà qui vaut bien Rupture dans le réel de Peter E Hamilton ou la Trilogie des Conquérants de Timothy Zahn. Une occasion de lire un bon space op'.