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Les critiques de Bifrost

Critique parue en septembre 2002 dans Bifrost n° 27

Figure emblématique de la littérature du XXe siècle, pilier de la « Beat Generation » (avec Jack Kerouac, Allen Ginsberg, John Clellon Holmes, Neal Cassady) William S. Burroughs nous a quittés en 1997 en laissant derrière lui une œuvre considérable. Depuis sa mort, on commence à mesurer réellement son influence sur la littérature moderne, mais aussi sur les autres arts : musique (une collaboration avec Kurt Cobain, le nom du groupe The Soft Machine), cinéma (Le Festin nu de David Cronenberg, une apparition remarquée dans Drugstore Cowboy de Gus Van Sant), théâtre (la pièce Interzone), bande dessinée, etc.

Le lecteur de science-fiction (qui a forcément entendu parler de la revue britannique Interzone) trouvera dans l'œuvre tentaculaire du camé céleste quatre romans (encore que cette dénomination ne puisse s'appliquer aux livres de William S. Burroughs) susceptibles de l'intéresser : la trilogie formée par La Machine molle (1960), Le Ticket qui explosa (1961), Nova Express (1962)… et évidemment Le Festin nu (1959 — The Naked Lunch, qui est plutôt un déjeuner nu, un repas nu, et non un festin comme le laisse supposer à tort le titre français).

Dans Le Festin nu, on suit la lente dérive de William Lee perdu dans le territoire intermédiaire que l'auteur appelle l'Interzone, une ville grotesque et dangereuse située quelque part à la collision de New York et de Tanger, en un endroit sans doute hors de l'espace et du temps où deux cultures antagonistes s'interpénètrent. Là, William Lee jouera le rôle d'espion, découvrira sa sexualité (une sexualité placée au-delà du clivage des sexes, mais qu'il est difficile de qualifier de bisexualité) et fera connaissance avec quelques-unes des créatures les plus flippées de l'univers burroughsien : le scolopendre aquatique noir (qui donne la viande noire, une drogue parmi tant d'autres) et les mugwumps dont on suçote les fluides vitaux. Récit sans queue ni tête, brûlot paranoïaque où « rien n'existe, tout est permis » et où les envolées de prose se mêlent à la pornographie la plus dure (pages 138 à 149 de l'édition « Folio-SF »), Le Festin nu est une œuvre incontournable, unique, à mettre sur la même étagère qu'Au Cœur des ténèbres de Conrad, Les Fleurs du mal de Baudelaire et Moby Dick de Melville. Quant à savoir s'il s'agit (ou non) de science-fiction, le moins que l'on puisse dire c'est que cette question ne présente pas le moindre intérêt.

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