Marianne LECONTE
PYGMALION
288pp - 19,90 €
Critique parue en juillet 2011 dans Bifrost n° 63
Nouvelle incursion de Pygmalion du côté des auteurs français, un champ laissé en friche depuis bien longtemps, le roman de Marianne Leconte, paru en janvier dernier, ne convainc pas, bien qu’il ait su un temps éveiller notre curiosité.
En effet, le cadre et les partis pris de l’histoire s’avéraient plutôt séduisants à l’aune des premières pages : l’Espagne, la fin d’une époque avec la Reconquista, les questions de conflits entre les trois grandes religions monothéistes… Las !
Très court (une après-midi suffit à en venir à bout), le roman ne laisse malheureusement pas le temps au lecteur de se plonger réellement dans cet univers à tendance uchronique — la magie étant par exemple bien présente à travers les Doués, des personnages ostracisés par la société. On a rapidement la désagréable impression de rester à la surface des choses, de ne jamais ressentir quoi que ce soit à la lecture, et le récit prend même un malin plaisir à démarrer véritablement au moment où l’on referme le roman, un comble.
De fait, on suit l’intrigue d’un œil distrait. Il faut dire que les personnages mis en avant et les situations exposées peinent à nous affranchir de ce triste constat : les protagonistes n’ont pas l’occasion de gagner en profondeur en cours de route et l’on n’évite que rarement les clichés en tous genres — le méchant inquisiteur sans aucune once de subtilité ; le seigneur troublé par une jeune fille qu’il croit être un garçon ; la jeune fille qui cherche à s’émanciper du poids des traditions… On se demande parfois si l’on n’a pas en réalité affaire à un roman jeunesse — dans le mauvais sens du terme : aventures gentillettes, protagonistes unidimensionnels, univers manichéen, mise de côté des thématiques les plus sensibles — déguisé, n’étaient quelques scènes, notamment une nuit d’amour particulièrement fade et inutile, un peu plus « adultes » semées ici ou là.
La dimension uchronique du récit elle-même ne s’avère guère aboutie : à l’image de la toute fin du roman, qui semble précipitée, le destin de Grenade n’a finalement que peu d’impact, un peu comme si l’auteur avait bifurqué en cours de route du roman historique vers l’uchronie, mais sans avoir d’idée bien précise quant au chemin à suivre. Les remerciements le laissent d’ailleurs penser, puisque l’auteur reconnaît s’être empêtrée dans ses recherches historiques avant qu’on lui suggère de se tourner vers… l’uchronie.
Si le roman n’est en soi pas déplaisant, il n’en demeure pas moins insipide et l’on a déjà croisé bien plus abouti et ambitieux dans ce registre, à l’image de Le Sommeil de la raison de Juan Miguel Aguilera, pour ne citer qu’un exemple au passage.
Espérons que les prochaines tentatives de Pygmalion du côté des auteurs français soient plus heureuses. Difficile en effet d’imaginer qu’un tel éditeur ne puisse proposer mieux.