[Chronique commune à Le pistolero, Trois cartes et Terres perdues.]
Hosanna ! Hosanna ! Chant de joie pour ses fans inconditionnels, Stephen King a enfin achevé son cycle de La Tour Sombre (sept volumes, de plus en plus gros), en profitant pour déclarer qu'il s'agissait de « la Jupiter de son Système imaginaire ».
[petite pensée polémique pour les anglophiles :]
Jupiter ? oh no, it's just shit from Uranus.
Hélas, trois fois hélas, aimant bien l'œuvre du géant du Maine, je me suis porté volontaire pour suivre Roland de Gilead, le dernier pistolero, dans la longue quête qui finira par l'amener jusqu'à la Tour Sombre.
Dans le premier volume — western post-apocalyptique très marqué par la Bible, Le Seigneur des anneaux et les films de Sergio Leone —, Roland poursuit l'Homme en Noir, massacre les habitants d'une petite ville (scène hallucinante), rencontre le jeune Jake avant de le laisser mourir dans un monde souterrain — une fin qui ressemble un peu trop à mon goût à la chute de Gandalf dans la Moria. À la fin du volume, bien entendu, le dernier pistolero retrouve l'Homme en Noir sur le Golgotha. Et ils ont beaucoup de choses à se dire…
Dans le second volume, Roland — attaqué par une « homarstruosité » — perd trois doigts, chope une sale infection, récupère (dans notre monde) Eddie et Susannah, ses futurs compagnons de route — Eddie étant un ancien junky, Susannah une femme de couleur schizophrène privée de ses deux jambes à la suite d'une tentative de meurtre.
Dans le troisième volume, Roland et ses compagnons décident de ramener Jake d'entre les morts. Pour ce, le trio devra se rendre à Lud, une étrange cité. Mais avant ils affronteront et vaincront un des « douze gardiens » — un ours gigantesque (format King Kong, pour tout dire) portant une antenne radar sur le sommet du crâne…
Soyons clairs, La Tour Sombre — inspiré d'un poème de Robert Browning, « Le Chevalier Roland s'en vient à la tour noire » — est un navet, et pas un petit, planté au beau milieu de l'œuvre d'un écrivain qui avait souvent réussi à passionner (Shining, Dead Zone, Misery, Simetierre…). Tout y est trop. C'est trop gros car trop long (ou l'inverse), c'est régulièrement trop con (l'auteur, très fier de lui, il suffit de lire ses postfaces, préfaces, avant-propos, semble croire que ses lecteurs sont capables de gober n'importe quoi et donc écrit n'importe quoi), trop américain (comme si on avait besoin de ça en ce moment), trop amateur d'un point de vue purement stylistique, trop puéril (bonjour l'humour caca-boudin, et donc cauchemardesque, du deuxième tome).
Le premier volume est quasi incompréhensible (ce que n'arrange pas une « nouvelle traduction » plus mauvaise que la précédente), le second volume, avec ses va-et-vient entre le monde de Roland et notre monde (ah, que c'est beau New York !), est pénible à cause de sa longueur, son côté répétitif, son autosatisfaction permanente. Quant à Terres Perdues, c'est certes le meilleur du lot, mais je l'ai fini aux forceps, à la rame et dans l'unique but d'achever mon papier pour Bifrost.
Ce navet de comices agricoles qui promettait pourtant moult plaisirs de lecture est surtout un gâchis monumental (il n'y a pas d'autre mot) car durant les rares moments où King se réveille, et donc réveille ses lecteurs, il se révèle brillant, hallucinant de justesse… ces étincelles créatives apparaissant généralement au détour d'un dialogue, d'une description ou d'une scène d'action. Toujours au détour du récit, et non au cœur du problème…
Au final, La Tour Sombre, où en tout cas ses trois premiers opus, est l'œuvre d'un auteur qui refuse son sujet comme un cheval refuse l'obstacle. Sans doute trop ignorant des règles du monde de Roland, Stephen King n'a pas su affronter (construire ?) cet univers à bras-le-corps. Il a écrit La Tour Sombre au fil de la plume, sans plan véritable, sans horizon précis ; résultat, il passe plus de temps à réparer les incohérences flagrantes de son récit-fleuve qu'à s'y consacrer vraiment. Reste que cette œuvre tend à ses lecteurs — même ceux qui ne l'ont pas appréciée —, un piège intéressant, car j'ai beau bougonner, pester comme un balai à chiottes qui vient de survivre à la fête de la bière de Munich, je ne peux m'empêcher de me demander, en français dans le texte : « Putain, mais c'est quoi cette Tour Sombre ? ! ».