Publié en 1956 en pleine paranoïa anti-communiste, remanié légèrement dans les années 90 (après la Guerre du Golfe, notamment), Le Pouvoir est le premier roman de Robinson traduit en français. En attendant la publication prochaine de The Dark beyond the stars, exceptionnel space opera intimiste (ça existe, et c'est même très bon) qui fait office de chef-d'œuvre, le lecteur peut s'offrir un agréable détour par Le Pouvoir, texte mineur mais remarquablement bien ficelé.
Vrai thriller fantastique (d'ailleurs adapté au cinéma sous le titre La Guerre des cerveaux) qui se dévore en quelques heures, Le Pouvoir raconte la traque subie par un jeune employé de la Navy, dans une ambiance qui annonce déjà L'Echiquier du mal. Spécialiste de la résistance humaine en milieu hostile, Bill Tanner chapeaute un comité chargé d'étudier les capacités développées par certains (et pas les autres) pour survivre. Quels facteurs rendent un individu plus fort, plus rapide, plus agile, plus à même de réagir et d'orienter ses actes vers la solution idéale ? Pourquoi certains supportent mieux la douleur que d'autres ? Autant de questions auxquelles le comité cherche à répondre, via des expériences somme toute assez académiques. Mais l'exercice s'emballe quand l'un des membres du comité pète les plombs. Un surhomme serait infiltré dans ce petit cercle de spécialistes. Un surhomme capable d'imposer sa volonté aux autres. Un surhomme qui a le pouvoir. Un surhomme qui n'a d'ailleurs aucune envie de sympathiser avec les hommes normaux. D'ailleurs, qui aurait envie de discuter avec des insectes ?
Traqué par une créature clairement supérieure qui lui ruine sa vie, Tanner tente désespérément de mener sa propre enquête. Une enquête qui le mène dans l'Amérique profonde, dans un bled ou tout le monde se souvient d'une certaine personne, quelqu'un de tellement charismatique que les villageois sont prêts à mourir pour lui… Quelqu'un manifestement capable de modifier la perception qu'il offre de lui-même. Quelqu'un de très dangereux. Et méchant, avec ça… Pour le pauvre Tanner, la parano ne fait que commencer, ledit méchant n'aimant pas, mais alors pas du tout, qu'on se mêle de ses petites affaires et autres complots.
Remarquablement divertissant, très hollywoodien dans sa forme comme dans son fond, Le Pouvoir pourrait n'être qu'un roman banal s'il n'était dû à la très bonne plume de Frank M. Robinson. Avec un sens du rebondissement parfaitement maîtrisé, l'auteur nous fait vivre cette chasse à l'homme de l'intérieur, à mesure que les pièces du puzzle se mettent progressivement en place. Et si la fin est convenue (bien que sympathique, dans le genre coup de théâtre qui remet tout en balance… cliché, certes, mais imparable), Le Pouvoir reste un excellent roman de gare, idéal pour un voyage loin de nos grisailles quotidiennes. Le prototype même du texte efficace qui remplit impeccablement son contrat, ce qui est déjà beaucoup.