Juan Miguel AGUILERA
AU DIABLE VAUVERT
521pp - 24,00 €
Critique parue en janvier 2007 dans Bifrost n° 45
Nous sommes au début du XVIe siècle. L'Europe sort la tête et les épaules du Moyen-âge, se tourne vers un humanisme riche d'idées nouvelles qui fonderont bientôt ce qu'on appellera les Lumières, lumières encore bien vacillantes face à un obscurantisme hérité de temps plus troublés. Charles de Habsbourg, qui n'est pas encore Quint, s'embarque pour l'Espagne afin de prendre possession d'un royaume hérité et fraîchement unifié, un royaume dont il ne sait rien, dont il ne parle même pas la langue. Au sein de la cour bourguignonne et flamande accompagnant le monarque, Juan Louis Vives, disciple d'Erasme, se trouve forcé de regagner une terre qu'il a fuie sous la pression inquisitoriale. Un voyage comme une révélation, bien sûr, au cours duquel il découvrira le stupéfiant complot planant sur la couronne de Charles et, plus largement, la véritable nature du monde, un monde nourrit de son pendant spirituel — l'annwn des sorcières — dans lequel s'enracine l'inconscient collectif humain, là où sommeille la raison…
Avec une belle régularité (entêtement ?), le Diable Vauvert continue de publier Aguilera, chef de file de l'imaginaire hispanique, auquel on préfèrera toutefois, au regard de leurs derniers bouquins respectifs, Javier Negrete. Car si Aguilera avait suscité l'intérêt au travers de ses deux premiers livres publiés par chez-nous, La Folie de Dieu et Rihla, il est peu de dire que les suivants ont déçu (Les Enfants de l'éternité, coécrit avec Javier Redal chez les défuntes ISF, et plus récemment Mondes et démons, au Diable). Las, son cinquième roman dans l'Hexagone est une nouvelle déception. Mesurée, certes, mais déception tout de même.
On retiendra toutefois une ambition indéniable. Celle de peindre un XVIe siècle cohérent, tout en cernant les enjeux fondamentaux de cette période charnière où, notamment, le scepticisme s'opposa au dogmatisme, creusé, déjà, d'une révolution industrielle annoncée. Mêlant habilement personnages historiques et fictifs, Le Sommeil de la raison est en ce sens une réussite. Mais à quel prix ? Celui de l'ennui, sans doute, qui gagne à la lecture de ce roman narrativement mal équilibré, aux personnages qui peinent à passionner et dans l'ensemble desservi, une fois encore, par une traduction française d'Antoine Martin qui, si elle n'est pas aussi médiocre que celle de Mondes et démons, n'en oublie pas de semer des phrases qui ne veulent rien dire. À quand un roman à la hauteur des ambitions (considérables) de Juan Miguel Aguilera, ce roman attendu depuis la lecture de ses deux premiers titres publiés en France, et qui restent à ce jour les meilleurs ? Attendons, donc, avec de plus en plus de scepticisme, justement.