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Les critiques de Bifrost

Le Voyage de Haviland Tuf

Le Voyage de Haviland Tuf

George R.R. MARTIN
MNÉMOS
22,50 €

Bifrost n° 46

Critique parue en avril 2007 dans Bifrost n° 46

Le brave marchand Haviland Tuf se trouve, par le fruit d'un hasard assassin assez cartoonesque, promu au rang d'unique possesseur de L'Arche, dernier vaisseau de guerre à germes de la puissante ancienne Terre. Le bonhomme s'autoproclame aussitôt ingénieur écologue et entame un périple qui l'amène à faire étape dans plusieurs mondes et à mettre à contribution les ressources du vaisseau — cuve à cloner, chronomuteur et bibliothèque cellulaire — afin de résoudre les problèmes que lui soumettent leurs habitants. Marchand dans l'âme, Tuf négocie au mieux de ses intérêts et de ceux de ses clients les services qu'il rend. Cependant, au fil des transactions, il réévalue progressivement les intérêts de ceux-ci en tenant compte de leur nature humaine.

Pour ceux qui ne le savent pas ou qui l'on oublié, George R. R. Martin a écrit dans d'autres domaines de l'imaginaire avant de se consacrer à l'interminable série de fantasy : A song of Ice and Fire (en français, le cycle du Trône de fer, disponible en poche chez J'ai Lu). À la décharge des incultes, puisqu'il faut bien leur trouver des excuses, reconnaissons que le succès et l'ampleur (pour ne pas dire l'enflure) de cet ersatz des Rois maudits ont quelque peu éclipsé les œuvres antérieures de l'auteur, en particulier les deux romans Armageddon Rag et Riverdream, et aussi le recueil Chanson pour Lya (réédité récemment chez J'ai Lu). En ce qui concerne Le Voyage de Haviland Tuf, tous les indicateurs révèlent sans contestation possible le space opera le plus classique, pour ne pas dire le plus old school : vaisseau gigantesque doté d'une puissance dévastatrice, voyage interstellaire, découverte d'écosystèmes exotiques mais habités par des civilisations calquées sur celles de notre Histoire… On frémit d'avance ou on se pâme (cochez l'option qui vous convient) à l'idée de lire une énième variation des lectures de son adolescence. Néanmoins, les apparences sont souvent trompeuses, ce que ne contredit pas ce présent roman. En effet, il apparaît rapidement que les clichés les plus éculés du space opera sont désamorcés par la personnalité même de Haviland Tuf et par le ton volontairement humoristique adopté par l'auteur pour le mettre en situation. Grand, bedonnant, d'une carnation blafarde, de caractère débonnaire mais loin d'être naïf, Tuf ne présente pas vraiment les caractéristiques du héros irrésistible ou du mauvais garçon attachant, style Han Solo. Si on ajoute que son raisonnement est d'un pragmatisme désarmant, qu'à l'instar de ses chats il retombe toujours sur ses pieds quelle que soit la situation, et qu'il ponctue ses paroles d'interjections — bigre ! — étonnantes, il ne fait plus aucun doute que George R. R. Martin joue davantage des clichés qu'il n'en use.

En conséquence, ce roman est une lecture légère, sympathique, distrayante et dépourvue de toute prétention malvenue. Pour peu que l'on fasse abstraction des quelques coquilles et du découpage très mécanique — un chapitre égale une escale dans le voyage — on peut même trouver une qualité supplémentaire à ce texte : celle de la fable, car mine de rien, Martin intègre dans son récit deux ou trois vérités générales pas toujours très plaisantes sur la nature humaine.

Au final c'est donc George R. R. Martin et non le personnage fictif de Haviland Tuf qui s'impose comme le plus roublard des deux. Maintenant, si vous souhaitez vous reposer entre deux lectures plus exigeantes, vous savez ce qu'il vous reste à faire.

Laurent LELEU

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