Richard MATHESON
DENOËL
896pp - 29,00 €
Critique parue en avril 2004 dans Bifrost n° 34
On ne présente plus Richard Matheson, auteur américain culte à qui l'on doit quantité de nouvelles, romans et autres scénarios (ciné et télé), tous caractérisés par leur très grande efficacité. Opus « rassembleur », Légendes de la nuit réunit quatre romans, l'ensemble formant un panorama assez juste de la vie littéraire de l'auteur. Ainsi, le célébrissime Je suis une légende (écrit en 54) précède le poétique Le Jeune homme, la mort et le temps (1975), avant Otage de la nuit (1989) et À sept pas de minuit (1993). Outre une politique éditoriale axée sur la publication d'inédits, la collection « Lunes d'encre » poursuit ainsi en parallèle un chemin « omnibus », après la sortie des intégrales des nouvelles de Dick, le rassemblement de « La Forêt des Mythagos », certains romans de Bradbury ou l'édition définitive de L'Echiquier du mal. On ne peut que s'en féliciter, même si le prix des pavés ne va pas forcément sans suffocation. Rappelons aux plus râleurs que les livres « Lunes d'encre » sont beaux, bien finis, bien fichus, et qu'ils vieillissent remarquablement bien quand on les compare aux poches, rapidement jaunis après achat.
Légendes de la nuit est un livre à réserver aux fans de Matheson et à ceux qui veulent une bibliothèque complète. À la lecture des quatre romans qui composent la chose, on est frappé par la facilité avec laquelle Matheson nous ballade d'une page à l'autre, sans jamais nous laisser le temps de lâcher le bouquin. De fait, la lecture de Légendes de la nuit est agréable, intéressante et parfaitement divertissante. Sur le fond, on reste néanmoins sceptique. Les histoires sont généralement prévisibles et parfois même évidentes, pour ne pas dire mal foutues. Le principal reste que « ça marche », et il n'y a rien à ajouter.
Ainsi, Je suis une légende met en scène le dernier homme sur terre, assiégé chaque nuit par des hordes de vampires. Son unicité en fait un objet de légende, et c'est évidemment lui qui doit assumer le statut de monstre dans un monde où le vampire incarne la normalité. Pas bête, drôle, mais très largement surestimé, Je suis une légende reste un roman « à lire », ne serait-ce que pour l'habileté de son scénario. De scénario, il est justement question avec Matheson, ses livres étant presque des objets cinématographiques. Chacun de ses romans ferait un excellent film (ce qui a d'ailleurs été le cas, pour certains), sans jamais être inoubliable d'un point de vue strictement littéraire. Matheson est avant tout un fantastique réservoir à idées… Le Jeune homme, la mort et le temps est un cas à part, avec l'histoire d'un jeune homme mourant, amoureux d'une actrice des années 20, dont l'obsession lui fera remonter le temps pour une brève rencontre avec son amour. Habile, poétique et exempt de la quincaillerie corollaire au voyage temporel, le roman est sans doute le plus réussi des quatre, malgré l'évidence du scénario et l'absence de surprise.
De son côté, Otage de la nuit révèle un travers de Matheson qu'on pourrait appliquer à Dick : certains romans sont plutôt mauvais, mais feraient des nouvelles formidables. On suit ici l'ordinaire d'un couple en crise dans une maison de vacances sur la côte Est. Hanté par un adultère récent, l'homme ne peut résister à l'attraction sexuelle de la belle Mariana, dont le statut de fantôme est évident dès son apparition. Moyen, faible par endroits, Otage de la nuit est largement passable, même si les « possessions » sont assez réjouissantes.
Terminons par À sept pas de minuit, qui montre l'étendue du talent de Matheson. Avec cette histoire de mathématicien confronté à un glissement de réalité et embarqué dans une rocambolesque histoire à la James Bond, l'auteur s'en donne à cœur joie. Pas un cliché qui ne soit présent, mais balancé avec une telle ironie et un tel sens du rythme qu'on s'étonne que le texte n'ait pas déjà donné une adaptation cinématographique (patience, ça va venir).
Au final, Légendes de la nuit est un livre forcément nécessaire pour le fan de S-F. Insistons sur la publication chez Flammarion de l'intégrale des nouvelles de Matheson (avec une réédition en poche chez J'ai Lu, idéale pour les pauvres — et ils sont nombreux), tout en précisant que Légendes de la nuit ne jure pas à côté. On aime ou pas Matheson, mais il faut reconnaître son talent et son importance dans le petit monde des littératures de l'imaginaire.