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Les critiques de Bifrost

Critique parue en juillet 2003 dans Bifrost n° 31

Le temps a toujours fasciné la S-F, le plus souvent pour les paradoxes qu'il engendre, mais jamais une idée aussi séduisante que celle de Wilson n'avait encore été exploitée ni traitée avec un tel talent. Un monument de pierre apparaît à Chumphon, en Thaïlande, fait dans un matériau inconnu, inaltérable ; il commémore une victoire que gagnera un dénommé Kuin dans vingt ans. Le froid qui accompagne son apparition provoque une onde de choc thermique qui dévaste les alentours. Bientôt, les impressionnants obélisques se multiplient en Asie, tous à la gloire du même seigneur de la guerre. À qui sont destinés ces chronolithes et que signifient-ils ? Le supposé tyran asiatique partant à la conquête de la planète est-il d'ores et déjà assuré des victoires qu'il commémore ou bien cherche-t-il à impressionner d'éventuels opposants ? D'ores et déjà, le conflit se situe sur le plan de la communication, en annonçant comme inéluctable l'issue de batailles à venir.

Scott Warden, qui a assisté à l'apparition du premier chronolithe et qui connaît de difficiles passages dans sa vie personnelle, est malgré lui une des pièces de cet échiquier temporel, une pièce recrutée par Sulamith Chopra, la physicienne la mieux placée pour étudier le phénomène grâce à ses travaux sur la turbulence Tau, au moment où l'onde de choc psychologique liée à l'apparition des chronolithes fait entrer le monde en récession. Les Etats-Unis procèdent à un surarmement préventif et se réservent les technologies sensibles tandis qu'un courant mystique de kuinistes, qui voient dans le leader du futur un messie salvateur, pousse les plus extrémistes à assister, au péril de leur vie, aux prochaines apparitions de chronolithes, qu'on a su prévoir grâce aux modifications de la radioactivité.

Le roman met en évidence l'effet larsen des chronolithes amplifiant les événements du futur ainsi que la force persuasive de l'information sur les esprits. Plutôt que de narrer les épisodes géopolitiques susceptibles de favoriser cet avènement, Robert Charles Wilson choisit une narration plus intimiste, à partir du point de vue de Warden, dont les déboires affectifs et familiaux sont une métaphore de l'impact des chronolithes : à cause d'eux, il brise son ménage puis perd son emploi. Mais c'est grâce à eux également qu'il reconquiert l'affection de sa fille, ce qui laisse augurer d'un possible renversement de situation dans cette guerre temporelle idéologique. L'écriture est elle aussi parfaitement adaptée au sujet en choisissant de présenter les protagonistes placés dans des situations nouvelles, chronolithes dont on accepte l'augure, avant d'expliquer les événements qui les y ont conduits. Tout à la fois roman psychologique retraçant l'essentiel d'une vie, avec ses bonheurs et ses déboires, et spéculation orchestrée autour d'une brillante idée, Les Chronolithes est le roman le plus marquant et le plus intelligent de ces derniers mois.

Claude ECKEN

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