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Les critiques de Bifrost

Critique parue en février 1997 dans Bifrost n° 4

« En roulant surie côté, la tête du colonel dévoila le gros trou rouge qu'elle portait sur la tempe…  « Combien de temps ? » Daniel Kowalsky regarda sa montre. « Quatre minutes et cinquante secondes. On a une petite chance. » Osterman acheva de fixer le harceleur… Le colonel eut un soubresaut et poussa un cri inarticulé. Le sang, qui s'était remit à battre dans ses veines, jaillit à travers les caillots qui obstruaient partiellement sa blessure à la tempe. « Qui avez-vous infiltré chez les Défenseurs ? » interrogea Osterman. »

Le second et très attendu volume de la nouvelle série de Serge Lehman remplit ses promesses, notamment par le jeu d'une construction du récit presque à l'identique du premier tome. En effet, du côté de la « tête » — Elisabeth Conti, la très virulente présidente de l'Europe, et ses phalanges anti-Puissances multinationales — un nouvel ultimatum: l'imminence d'un énorme scandale public, orchestré par Lazlo Coynes, le chef du bras armé des Puissances. Son but ? Discréditer, avant même qu'il ne devienne opérationnel, le corps des Défenseurs, les soldats de l'Europe. Mais comment? C'est ce que le capitaine Daniel Kowalski, leur chef et Yves Osterman, le responsable des services de renseignement européens, vont tenter de découvrir. Parallèlement du côté « des jambes » (ou plutôt canon à gros calibre) Chan Coray, le héros du premier tome et le premier des Défenseurs, va — évidemment — se retrouver aux premières loges du complot.

Avant d'aller plus loin, rappelons l'état des lieux à l'issue du précédent volume. En 2095, il n'existe plus, sur Terre, que deux pays. À ma droite, le Village, dont fait partie l'Europe des héros — avec sa langue, l'Anglais (pan dans la francophonie) sa monnaie unique, le Mark (pan dans l'Euro !) ; sa police, la Force (à peu près aussi efficace que les actuels Casques Bleus). À ma gauche, le Veld (« la brousse ») autrement dit, le reste du monde (surpeuplé, pollué et miséreux à souhait), que les Puissances multinationales viennent de s'approprier. L'enjeu du gigantesque combat de boxe qui se prépare depuis maintenant deux volumes ? Le pouvoir absolu sur l'humanité entière, en commençant par celui de l'éducation des masses populaires du Veld.

On notera que Lehman est le seul auteur de Science-Fiction francophone à prendre ainsi à bras le corps le sujet brûlant du devenir du monde du XXe siècle. Il ne fait pas dans la demi mesure et, pourtant, sa vision du XXIe siècle, bien qu'assez manichéenne, sonne juste. On se référera notamment à une certaine soirée sur Arte consacrée à Internet, où il était constaté la perte de pouvoir irréversible des banques centrales vis à vis de la monnaie numérique. Autrement dit, la fin du pouvoir des dirigeants élus par des nations, au profit d'un pouvoir soit disant disséminé et confus (un peu plus loin, on apprenait que le Net appartiendrait au vainqueur de la guerre des standards des autoroutes de l'information). On peut en revanche douter de l'intégrité et de l'attachement à l'idée d'indépendance dont font preuves les politiciens du Village (à l'image d'Elisabeth Conti et de ses ministres), surtout au regard d'un certain nombre d'affaires politiques bien actuelles, tant au plan local que nation ou même mondial.

Les Défenseurs, plus encore que l'épisode précédant, cumule les facettes et, par la même occasion, les niveaux de satisfaction. Si Kowalski et Osterman se démènent dans un contexte d'espionnite façon « guerre froide », côté Chan Coray et ses compagnons, c'est une sorte d'initiation militaire à la condition de guerrier revue et corrigée à la sauce nanotechnologique et virtuelle. Le parcours psychologique des jeunes héros et la démarche initiale font penser à l’excellent Langelot Agent Secret de Vladimir Volkoff (alias le Lieutenant X « Bibliothèque Verte », Hachette) l'école secrète et piégée, l'apprentissage de la solitude au milieu du nombre, l'alliance sacrée des camarades. Évidemment, ici, les choses sont repensées et poussées très loin dans les retranchements futuristes. Autre réminiscence, celle du Haut-Lieu, le précédent roman fantastique de Lehman (Fleuve Noir, « Frayeur ») notamment dans les toutes dernières scènes de l'instruction des Défenseurs.

Enfin, à l'issue de ce second tome de la série F.A.U.S.T., on ne peut s'empêcher de constater deux choses. Premièrement si les aventures de Chan Coray et Kowalski captivent, nous n'en sommes qu'au stade de la mise en train. L’affrontement Europe/Grande Puissance ne fait que commencer. Deuxièmement à 31 ans, Serge Lehman a déjà atteint un niveau de sophistication et d'ampleur narrative science-fictive rare, que ce soit chez les francophones ou les anglo-saxons. Qu'écrira-t-il dans dix ans ? Des romans de terroir (cf. Jeury) ? Du policier/fantasitique (Brussolo) ? Quelque chose de cent fois meilleur ?

David SICÉ

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