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Les critiques de Bifrost

Les Démons de Paris

Les Démons de Paris

Jean-Philippe DEPOTTE
DENOËL
514pp - 20,00 €

Bifrost n° 58

Critique parue en avril 2010 dans Bifrost n° 58

De temps à autre, il arrive qu'un nouvel auteur surgisse de nulle part et s'impose d'emblée parmi les auteurs à suivre de près. C'est sans conteste le cas de Jean-Philippe Depotte, issu du milieu du jeu vidéo, dont le premier roman est l'une des œuvres les plus réjouissantes que l'on puisse lire en ce début d'année.

Avec Les Démons de Paris, l'auteur nous invite à un voyage vers le passé, au début du XXe siècle, dans le Paris de la Belle-Epoque. Pour nous guider dans cet univers, il invoque quelques figures plus ou moins familières de cette période : Fulgence Bienvenüe, le concepteur du métropolitain, Lénine, exilé en France en attendant de retourner en Russie prendre le pouvoir, ou encore Gérard Encausse, dit Papus, fameux occultiste de l'époque.

Pourtant, il apparaît assez vite que ce monde n'est pas tout à fait le nôtre : le gouvernement y est dirigé par une femme, Victoire Desnoyelles, dont nul ne parvient vraiment à s'expliquer comment elle a réussi à s'imposer dans ce rôle ; les Parisiens tremblent à l'évocation du Grand Khan et de sa Horde d'Or, soupçonnés d'être à l'origine des attentats sanglants qui ont récemment endeuillé la ville ; et les journaux consacrent leur une à ce jeune prêtre dont on dit qu'il est capable de converser avec les morts.

Le séminariste en question, Joseph Sterbing, possède effectivement un don unique lui permettant d'entrer en contact avec l'au-delà. À quelques jours de prononcer ses vœux, la théorie scientifique qu'il tente de bâtir au fil de ses expériences met de plus en plus à mal sa foi, et les sentiments qu'il éprouve pour Lucille, amie d'enfance et fille de Fulgence Bienvenüe, n'arrangent rien à l'affaire.

À la recherche de certitudes sur cet autre monde dont il a perçu l'existence, Joseph va se trouver mêlé bien malgré lui à un complot visant à attenter à la vie de Nicolas II, tsar de Russie, et accessoirement à permettre aux démons de l'Enfer de pénétrer dans notre univers.

Dès les premiers chapitres de son roman, Jean-Philippe Depotte tire merveilleusement profit des opportunités que lui offre la période qu'il décrit. Un moment charnière de l'histoire, durant lequel cohabitent les vestiges d'une époque bientôt révolue et les premières innovations du monde moderne, et qui se prête à merveille au mélange des genres que pratique l'auteur. À l'instar du dilemme auquel est confronté Joseph, tentant de concilier rationalisme et spiritualité, le fantastique dans lequel baigne Les Démons de Paris va de pair avec un imaginaire scientifique et un matérialisme qui lui donnent toute son originalité.

Dans sa description du Paris de la Belle-Epoque, le romancier évoque tout autant les feuilletonistes du début du siècle (le personnage du Grand Khan en est l'exemple le plus flagrant) que les auteurs contemporains, Tardi en tête. Son intrigue, particulièrement touffue, se nourrit d'influences très diverses, du contexte politique de l'époque (les dernières années du règne de Nicolas II), de sa vie culturelle ou sociale, mais également de textes religieux ou ésotériques, de romans populaires, et même de l'univers des comics (Joseph n'est pas le seul personnage doué d'un talent particulier, et les autres personnages dotés de pouvoirs similaires, baptisés « implexes », jouent un rôle crucial dans l'histoire). Au terme d'un récit particulièrement riche en péripéties diverses, les nombreuses questions posées par l'auteur trouveront leur réponse lors d'une scène finale à rebondissements multiples.

Publié en dehors des collections spécialisées, Les Démons de Paris a tout pour séduire un large public : un univers original sans être trop déroutant, une écriture sans fioritures qui n'est cependant pas dénuée d'une vraie élégance, et le souffle nécessaire pour tenir son lecteur en haleine durant cinq cent pages. Plus d'un auteur de best-sellers chevronnés serait bien inspiré de prendre modèle sur ce débutant.

Philippe BOULIER

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