Midori Snyder, fille d'un poète français passionné de littérature africaine et d'une universitaire américaine, a passé son enfance sur trois continents et escaladé le Kilimandjaro à quatorze ans (pour le fun !). Elle se consacre entièrement à l'écriture depuis quelques années et a vécu un an en Italie pour préparer et entamer la rédaction de ces Innamorati. Un roman qui est loin d'être son premier, mais, comme le veut la formule consacrée : « s'il ne fallait en traduire qu'un, ce serait celui-là ». Et c'est donc Rivages qui s'y est collé, histoire de racheter la publication peu inspirée du cycle des « Fey » de Kristine Kathryn Rusch, dont on évitera autant que faire se peut l'acquisition. En lisant Les Innamorati, le moins que l'on puisse dire, c'est que Midori Snyder a du talent et qu'elle représente avec brio la fantasy que l'on aime chez Bifrost : originale, puissante, sensuelle. Il suffit d'ailleurs de lire les premières pages de ce roman pour comprendre que l'on tient là, si ce n'est un chef-d'œuvre, du moins un livre fabuleux dans tous les sens du terme.
Tout commence, en Italie, dans un XVe siècle de féerie et de barbarie embrassées dans le même sceau, à l'heure du réveil éthilico-comateux de la créatrice de masques Anna Forsetti, en compagnie d'un prêtre qui vient de pécher — pour le moins ! — et se trouve en fort mauvaise posture dans le lit de cette belle veuve dont le prétendant, Roberto, et la fille, Mirabella, tambourinent à la porte. Comme beaucoup de personnages de ce roman, Anna est maudite : telle la rose, elle possède ses épines, mais ces dernières se trouvent à l'intérieur de son corps et lui déchirent les entrailles. Que ce soit Anna, la créatrice de masques, Simonetta, la putain vieillissante, Erminia, la sirène qui se dessèche et aimerait tant aimer, Fabrizio, l'acteur bégayant… tous, à un moment ou un autre du récit, vont entamer leur pèlerinage vers Labirinto, la cité mythique et néanmoins bien réelle où l'on peut se débarrasser de ses malédictions. Et c'est bien là le tour de force de ce roman : nous présenter non pas un ou deux points de vue, mais plus d'une dizaine qui vont se rejoindre, se mêler, s'embrasser et, surtout, s'embraser dans le Labyrinthes des Rêves.
Les Innamorati rappellent avec une force étonnante l'univers de Laurent Kloetzer (La Voie du cygne et Mémoire vagabonde, tout juste réédité d'ailleurs, chez Mnémos), mais, là où le style de Kloetzer laisse tant à désirer, péché de jeunesse s'il en est, celui de Midori Snyder, servi par une traduction inspirée de Monique Lebailly, explose, fleurit, rebondit de morceau de bravoure en morceau de bravoure. Riche, coloré, brutal et parfois d'une paillardise de bordel à marée basse, ce roman est un feu d'artifice, un carnaval de corps et d'âmes déchirés par la haine et magnifiés par l'amour. Tout simplement le plus beau livre de fantasy que j'aie lu depuis le Gloriana de Michael Moorcock. À acheter les yeux fermés, pour mieux les ouvrir.