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Les critiques de Bifrost

Les Rois des sables

George R.R. MARTIN, Pierre-Paul DURASTANTI
J'AI LU
224pp - 6,90 €

Critique parue en mai 2008 dans Bifrost n° 50

La mention « inédit » figurant sur la quatrième de couverture est pour le moins cavalière dans la mesure où trois des six nouvelles que contient le recueil ont déjà connu une précédente édition française. « La Cité de pierre » est parue dans le numéro 31 de Bifrost, « Par la croix et le dragon » et « Les Rois des sables » dans l'anthologie Univers 1981. Tous les textes sont des années 70. Entre 73 et 78. « Les Rois des sables » n'étant pas daté ; le recueil l'étant, lui, de 1979. Il apparaît donc comme un troisième tome venant après Chanson pour Lya et Des astres et des ombres qui ont été réimprimés voici peu (tous deux chez J'ai Lu). S'il est plus mince que ses prédécesseurs, il n'en est pas moins à la hauteur.

Aujourd'hui, George R. R. Martin est connu et reconnu grâce au succès de la saga du Trône de fer, vaste fresque à l'ambiance sombre, évoquant Les Rois Maudits, dont le douzième volume du saucissonnage français en minces livres d'environ 330 pages vient de sortir chez Pygmalion (éditeur naguère récompensé d'un Razzy pour cette boucherie) sous le titre Un festin pour les corbeaux. Martin avait pourtant écrit des œuvres autrement méritoires auparavant — Armageddon Rag, où l'on suit un journaliste de rock dans sa tentative de ranimer la flamme du flower power en ressuscitant un mythique groupe apocryphe, ou encore L'Agonie de la lumière, unique volume du « Masque de l'Avenir » (depuis repris en J'ai Lu) qui devait concurrencer le « CLA ». C'est dans l'univers de space opera de ce dernier roman que s'inscrivent également Le Voyage de Haviland Tuf (que ne renierait certainement pas Roland C. Wagner), publié en 2006 chez Mnémos, ainsi que Le Volcryn, minuscule roman S-F de 150 pages qui concluait en beauté le collection « Futurama » (2e série) que dirigeait feu Jean-Patrick Manchette aux Presses de la Cité. Le Volcryn, qui n'a jamais été réédité, est d'ailleurs certainement le roman traduit le moins connu de Martin…

Cinq de ces six textes appartiennent à cet univers que l'on découvre à petites touches, texte après texte. « Vifs-Amis » est l'exception. C'est une nouvelle bien dans la manière romantique de George R. R. Martin. Non l'histoire d'un impossible amour mais celle d'un amour qui aurait dû être possible et ne l'est plus du fait de l'incapacité de l'un à se risquer vers l'autre.

« La Dame des étoiles » est un récit noir, façon polar, situé sur les marges de l'œuvre de Martin. On y devine le potentiel de noirceur que l'on verra éclore dans les meilleures pages du « Trône de fer ». « La Cité de pierre » et « Aprevères » sont les deux textes qui s'approchent le plus de la veine principale de l'écriture de l'auteur ; des textes tout empreints de mélancolie, de nostalgie et de poésie, que l'on pourra qualifier de « beaux » textes et qui illustrent à merveille ce pourquoi on peut adorer lire cet auteur.

Plus riche et complexe est « Les Rois des sables ». On y retrouve quelque chose dans l'esprit du Volcryn qui se révèle dans la chute, laquelle n'est toutefois pas le point fort de Martin. Ça suffit néanmoins à faire de ces « Rois des sables » une nouvelle passionnante et originale sans que pour autant Martin ait dû renoncer à sa patte si particulière.

« Par la croix et le dragon », qui ouvre ce recueil, en est tout simplement le chef-d'œuvre. C'est peut-être même le meilleur texte de Martin, et en tout cas celui que je préfère. Martin n'écrit que rarement des textes à forte problématique. Citons « La Nuit des Wampyres », dans Des astres et des ombres, qui contait un raid nucléaire délibérément voué à l'échec mené dans un sinistre dessein politique. Ici, Martin s'intéresse à la « raison » de la religion, exprimant une idée très proche de ce que j'en pense. Un inquisiteur se voit confronté à un hérétique qui a inventé une nouvelle religion réhabilitant Judas, mêlant allègrement des dragons aux Ecritures. Les menteurs créent des religions et des croyances car elles sont un rempart contre le nihilisme engendré par l'entropie, l'absurdité et la vacuité de l'existence. Face à une intolérable vérité, les mensonges de la foi sont un précieux réconfort…

Au final, Les Rois des sables se révèle un excellent recueil — et « Par la croix et le dragon » une nouvelle absolument exceptionnelle qui, à elle seule, vaut bien plus que l'achat du livre, et peu importe qu'elle ne soit pas inédite, il était indispensable, après 25 ans, de la mettre à nouveau à la disposition des lecteurs.

Jean-Pierre LION

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