Manuscrit arrivé par la poste dans la boîte aux lettres de la collection « Lunes d'encre », qu'on imagine chargée, Les Tours de Samarante est donc le premier roman d'un inconnu qui ne le restera pas longtemps : Norbert Merjagnan.
Oshagan, ultime rejeton d'une ancienne et puissante famille de Samarante, a passé une bonne partie de sa vie parmi les U'Fzull, peuple sauvage et prétendument barbare, afin d'échapper à une vendetta. Oshagan n'est pas content. Et il est sacrément armé. Et il revient à Samarante. Autant dire que ça va chier…
Triple A, jeune idéaliste élevé dans la fange des quartiers pauvres de Samarante, rêve d'escalader les tours de ladite cité. Un rêve de liberté qui va lui coûter son corps et le condamner à devenir l'un des yeux de la ville…
Cinabre est une préfigurée — entendez, une créature créée par biogénie. Elle possède un talent redoutable : une empathie extrême mêlée de précognition. Cinabre a un trouble passé. Et est traquée par une organisation secrète sensée avoir disparu depuis cinquante ans…
Naturellement, le destin de ces trois personnages est lié.
Autant l'affirmer d'emblée : Les Tours de Samarante, premier roman, premier volet d'une trilogie (à la fin de l'ouvrage, beaucoup semble encore à venir !), est un bouquin remarquable à plus d'un titre. Le livre se mérite, oui, parce que l'auteur fait l'économie de toute scène d'exposition. Aussi le lecteur se retrouve-t-il plongé dès la première page dans un univers futuriste (et pas qu'un peu !) extrêmement élaboré et, de fait, pour le moins déstabilisant. Ce premier choc mettra une centaine de pages à s'évacuer. Cent pages nécessaires pour s'installer dans l'histoire, mais qu'on mange néanmoins tant l'univers décrit fascine et la langue employée (redondante, au tout début, mais qui trouvera, elle, ses marques bien avant les cent premières pages) imprègne, implique. Merjagnan brosse ici une société future remarquablement élaborée au servir d'une histoire aventureuse à la brutalité sèche et sanguine. Franchement, on reste assez étonné devant la maîtrise et l'ambition de ce premier ouvrage. La science-fiction est une littérature de strates. Chaque auteur emprunte à ses prédécesseurs pour nourrir sa propre œuvre. Et Merjagnan a bien emprunté (on citera Gibson, du temps où il écrivait de bonnes histoires, Banks, sans doute, et aussi Herbert, une ambition stylistique qui n'est pas sans évoquer Harrison, un domaine S-F, le planet opera, qui inscrit notre auteur dans la lignée d'une Vance, etc.). De fait, Merjagnan n'invente rien. Il se contente de signer un roman de S-F passionnant, brillant de par sa construction, son background et sa langue, et c'est déjà énorme.
Voici donc, à l'heure ou la S-F semble ronronner à l'ombre d'une fantasy tentaculaire, une nouvelle qui devrait ravir tout lecteur de Bifrost normalement constitué : un nouvel auteur de S-F est né. Il est extrêmement doué. Et il écrit en français ! Voui m'dame ! Vous savez ce qu'il vous reste à faire…