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Les critiques de Bifrost

Lilliputia

Xavier MAUMÉJEAN
CALMANN-LÉVY
445pp - 18,00 €

Critique parue en octobre 2008 dans Bifrost n° 52

Deuxième écrivain francophone à intégrer la très recommandable collection « Interstices », Xavier Mauméjean prolonge son travail sur le monstre avec Lilliputia, comédie tragique calquée sur le mythe de Prométhée et peuplée de tout un bestiaire humain particulièrement réjouissant. Si le concept de Dreamland — cité miniature pour nains parfaits et parc d'attractions pour visiteurs obscènes dans le Coney Island du début du siècle — peut surprendre, le lecteur se régalera de la distance amusée avec laquelle Mauméjean déroule tranquillement son histoire, la jalonnant çà et là de références mythologiques bien senties (où le pandémonium grec se lâche franchement), de scènes poétiques et de passages aussi violents que comiques. Bref, Lilliputia ne se laisse pas vraiment enfermer et l'auteur brouille les pistes avec talent. Ça tombe bien, c'est justement pour ça que la collection « Interstices » a vu le jour. Raconté sur le mode bonimenteur, Lilliputia suit le parcours initiatique du nain Elcana, échappé de son Europe de l'Est natale après un moment d'énervement notable (que l'on découvre avec stupeur dans le prologue du roman, prologue exceptionnel par son style et son ampleur, où le fantôme de Bolaño prend le thé avec Garcia Marquez) et kidnappé/enrôlé par une sorte de chasseur de têtes. Destination les Etats-Unis, plus particulièrement Coney Island, tout près du Luna Park et des ruines du Steeple Chase, où l'attend la ville de Lilliputia, nouvelle attraction voulue par le Dieu Sebastian (fils de Titan, donc, dont le père a la fâcheuse manie de dévorer ses enfants) et véritable ville miniature où tout est à l'échelle. Des tavernes aux pensions de famille en passant par les camions de pompier. Très vite intégré à la caserne de pompiers, justement, Elcana éteint des incendies programmés, fait des rencontres fortuites (Lilliputia est aussi une triste histoire d'amour), apprend à danser et assume peu à peu son statut de (petit) Prométhée avec le succès que l'on sait et le mal au foie qui s'en suit. Dans cette fresque dramatique aux accents de comédie grotesque (mais jamais absurde), Xavier Mauméjean sème quelques passages d'anthologie (histoire du hot-dog et périple lunaire d'une beauté saisissante) et s'autorise quelques réflexions distanciées sur la vie, le monde et les catastrophes corollaires. Cocaïne et trahisons rythment le récit et l'ancrent dans une sorte de fausse linéarité, où les personnages se troublent à mesure qu'on les découvre. Car ici, personne n'est tout noir, et encore moins tout blanc. Même Elcana, simple citoyen propulsé au statut de héros par un Mauméjean ricanant et démiurge, ne sort pas indemne de l'exercice (moralement s'entend). Il y gagne d'ailleurs une profondeur inquiétante qui tire le livre vers le haut. Sous ses allures de farce et de comédie de foire, Lilliputia est surtout un roman d'une étonnante beauté, étonnante car étrange, cruelle et dérisoire. Le style très second degré fait mouche à tous les coups et l'intelligence narrative fait le reste. On se fait avoir par Lilliputia, on paye son ticket d'entrée et on pénètre dans l'antre de la femme à deux têtes et de l'homme-lombric en tremblant. Et on a raison de trembler, parce qu'ici, c'est pour de vrai.

Patrick IMBERT

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