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Les critiques de Bifrost

Maniac

Maniac

Eric BÉNIER-BÜRCKEL
FLAMMARION
341pp - 18,30 €

Bifrost n° 30

Critique parue en avril 2003 dans Bifrost n° 30

[Chronique commune à Un prof bien sous tout rapport et Maniac.]

La sortie du deuxième roman d’Eric Bénier-Bürckel, Maniac, chez Flammarion, est un bon prétexte pour faire le point sur cet auteur hallucinant.

Eric Bénier-Bürckel s’est signalé en France dès son premier roman, Un Prof bien sous tout rapport, qui lui a valu les honneurs de la télévision et ceux du prix Sade 2001. Ce prime ouvrage est la recension, fragmentée et vaguement chronologique, de la vie d’un tueur sériel français, jeune professeur de philosophie, qui passe son temps à juger les femmes à l’aune de la taille de leur poitrine, à regarder des conneries à la télé (X-Files et Nulle part ailleurs entre autres), à fréquenter les boîtes de nuit, à voir des ovnis dans le ciel… et qui, de temps en temps, massacre de façon abominable quelque nymphette à gros nichons (à mon humble avis, les pages 230 à 241 dépassent, dans le registre de l’abominable, tout ce qui a été fait précédemment dans le même genre — y compris dans Le Désosseur de Jeffry Deaver). Avec un tel sujet, étalé sur 432 pages pour tout arranger, on était en droit de craindre le pire. Mais il y a une omission dans ce qui précède : Eric Bénier-Bürckel est professeur de philosophie dans un lycée de banlieue, il aime la musique techno et avait vingt-neuf ans au moment de la parution de ce premier livre. En deux mots : il a couché par écrit un vécu qu’il a poussé aux extrêmes limites du fantasme (comment ne pas penser au chef-d’œuvre de Pasolini, sa relecture de Sade, Salo ou les 120 journées de Sodome).

« Je suis prof agrégé de philosophie, j’enseigne dans un lycée de la grande banlieue parisienne, je suis seul, je suis célibataire, j’appartiens à la génération American Psycho, rien ne me choque, tout m’est égal, je ne crains aucune espèce d’autorité, le monde est en train de s’écrouler et… » page 20. Cet extrait m’a plongé dans deux réflexions divergentes et pourtant complémentaires. Première réflexion : cette phrase n’est pas achevée, et si on devait l’achever à la place de l’auteur, on mettrait « … et je participe au phénomène ». Seconde réflexion : le narrateur a lu tous les livres et, contrairement à un Maurice G. Dantec qui croit, lui, avoir compris tous les livres, il ne fait pas de cette culture philosophique une synthèse gloubiboulga à trente centimes d’euro, au contraire, il en fait une synthèse en épée. Je m’explique : Dantec, par réaction contre ce qu’il doit qualifier d’intelligentsia gauchiste bien pensante, mélange L’Art de la guerre de Sun Tzu, les principes du Yoga, ses influences musicales binaires et la relecture nietzschéenne de Gilles Deleuze pour en dégueuler une boue réactionnaire techno-branchouille, vaguement provocatrice, qui ne mène à rien et tend à prouver que les progrès scientifiques et le chaos réorganisent sans cesse le monde (ce dont personne n’a jamais douté). Le procédé de Bénier-Bürckel est inverse : au lieu de faire de la boue, il dresse une épée au dessus d’icelle, une pensée qui domine les autres, une pensée certes biaisée/aiguisée par la folie, mais concise comme un faisceau de lumière cohérente. Cette pensée est simple : « Le monde est en train de s’écrouler et je participe activement au phénomène, car c’est ça être conscient. » Par ailleurs, cette pensée trouve un corollaire tout au long du livre : « Demain, je peux mourir. » Une simple sentence, martelée.

Pour le lecteur de science-fiction, Un Prof bien sous tout rapport est un livre intéressant par de nombreux aspects, car le délire paranoïaque du narrateur, Baptiste Bucadal, est nourri par la théorie UFO-conspiration chère aux X-Files : « Je pense à ma mère, je soupire, et puis je me souviens brusquement d’une chose, je ne sais pas pourquoi juste à ce moment précis : cette nuit, deux petits hommes gris, avec de grands yeux noirs obliques, sont venus dans ma chambre baignée dans une étrange lumière bleue. Ils étaient au bord de mon lit, penchés au-dessus de moi, ils m’observaient sans rien dire. Je les ai vus avec effroi enfoncer une longue aiguille dans mon bras gauche. Je crois bien qu’ils m’ont posé un tube transparent sur la bite et qu’ils m’ont pompé le dard jusqu’à ce que je crache la purée. » Page 49.

Un Prof bien sous tout rapport est-il pour autant un livre parfait ? Bien sûr que non, il y a certains passages qui sont trop longs (notamment, vers la fin du livre, une scène de meurtre réellement insoutenable… vous êtes prévenus). Et la scène clin d’œil à American Psycho, où les téléphones mobiles dernier cri remplacent les cartes de visite des yuppies, est peut être trop appuyée. Il n’empêche que c’est une œuvre puissante, dévastatrice et malheureusement éclairante sur la vie quotidienne des professeurs en France.

Pour ce qui est de Maniac, le second roman de Bénier-Bürckel à ce jour, j’avoue avoir eu le plus grand mal à finir cette plongée dans la paranoïa d’un employé de bureau tête à claques. C’est une œuvre intéressante par certains côtés (avec des passages kafkaïens, des scènes bien senties), mais qui ressemble trop à une version light d’Un Prof bien sous tout rapport. L’auteur continue d’appeler une chatte une chatte, une bite une bite, mais la magie (noire) n’opère plus. Et comme s’il s’en rendait compte, Bénier-Bürckel appelle régulièrement son premier roman à la rescousse : « Je ne suis tout de même pas un canon. Mignon, mais pas beau. Nicolas il est beau. Antony aussi. Ce mec aussi avec qui j’ai discuté l’autre soir au Batofar. Un certain Baptiste. Prof de philo d’après ce que j’ai pu comprendre. Moi je l’aurais bien vu chanter dans un boys band ce mec. Il m’a ricané quand je lui en ai fait la remarque. Tous ces mecs sont vraiment beaux. » Pages 65-66.

Nous avions dans nos chères librairies Parasites de Murakami Ryu, retraçant le parcours d’un tueur sériel japonais, American Psycho de Bret Easton Ellis, évidemment, et maintenant Eric Bénier-Bürckel qui nous parle des psychopathes français avec une langue brutale et crue. Une dernière chose : si vous avez une jolie fille de dix-sept ans environ qui a 1/ une grosse poitrine et 2/ Eric Bénier-Bürckel comme professeur de philosophie, un petit conseil : au nom du principe de précaution, changez-la d’établissement.

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