Laurent KLOETZER
MNÉMOS
368pp - 19,06 €
Critique parue en janvier 1998 dans Bifrost n° 7
Nouvelle incursion dans la Fantasy chez Mnémos, par, une fois de plus, un jeune auteur (cet éditeur en est une véritable mine). Mémoire vagabonde est une espèce de Trois Mousquetaires qu'on aurait croisé avec le cycle d'Elric de Moorcock — sans épée maudite enchante, ce qui n'est pas un mal. Le tout illustré par Florence Magnin et, toujours aussi admirablement maquetté.
Auteur de roman pour dames vivant au crochet des notables qu'il courtise (tout en séduisant leur filles), Jaël de Kherdan est un personnage tourmenté par une double identité (qui écrit exactement ses livres ? est-il ou non l'aventurier dont il raconte la vie?) et un passé sombre dont le meurtre de « frère » Cassiel constitue un motif récurrent. Chassé une fois de plus de la principauté dont il œuvrait pour les bonnes mœurs, Kherdan, que la protection d'une mystérieuse princesse albinos suit de loin, se réfugie dans le port mal famé de Dvern, où il est pris au piège des luttes de pouvoir locales. La mystérieuse Amance, une drogue hypnotique très courue, va désormais hanter sa vie déjà abondamment peuplée de fantômes.
Ces quatre cent quarante-quatre pages de caractères écrits petits et serrés sont inspirées d'une musique et d'un texte du groupe Noir Désir (Joey 1 & 2). Ambiance marine, romantique et noire à souhait — les lieux et les personnages y apparaissent cendreux, les marivaudages de capes et d'épées se muent au fil des pages en un carnaval halluciné, et le bateau ivre finit par se métamorphoser en nef des fous. Kloetzer installe dès les premières pages un style égal et une intrigue labyrinthique apparemment structurée. Il finit toutefois par sombrer dans le dernier tiers du roman, quand le sort de son héros se scelle, entraînant le lecteur sur les rivages amers de l'autodestruction. Autre phénomène structural curieux : l'étrange bascule de la première partie toute en badinages, duels et interrogations, à une seconde partie de fantasmes possessifs, repli sur soi-même et homo-érotisme payé au prix fort. L'impression finale étant que l'ensemble, personnages, intrigues, décors, aura dérivé au gré des aléas créatifs, le glacier qui avale tout pouvant être interprété comme une métaphore de la page blanche.
Bief, Kloetzer est un jeune auteur aussi prometteur que ceux que nous découvre bien souvent les collections Mnémos, dont la maturité apportera sans doute à l'avenir une maîtrise plus grande des conclusions et apothéoses.