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Les critiques de Bifrost

Mémoire vive, mémoire morte

Gérard KLEIN
ROBERT LAFFONT
336pp - 20,00 €

Critique parue en janvier 2008 dans Bifrost n° 49

Recueil hétéroclite par nature (plusieurs nouvelles publiées ici ou là et appartenant à différentes périodes de l'existence de son auteur, comme le souligne Gilles Dumay), Mémoire vive, mémoire morte rassemble des textes trop malicieux pour être pris au premier degré. On y décèle plusieurs Gérard Klein, tous bien ancrés dans leur époque, avec parfois de jolies pages d'anticipations et le thème récurrent de l'incommunicabilité. Tour à tour poétiques, désespérées, sombres ou légères, les nouvelles rassemblées ici distillent une petite musique froide, parfois distanciée, mais jamais vaine ou maniérée. Certes, le style est particulier et renvoie très directement à l'âge d'or de la S-F, mais c'est d'un âge d'or assimilé qu'il s'agit, un âge d'or compris, intégré et… désintégré par un auteur qui fait plus œuvre de détournement qu'autre chose. Détournement respectueux, sans aucun doute, mais détournement quand même, et c'est justement ce qui donne toute sa saveur et son à-propos au livre. Les thèmes développés par Gérard Klein forment l'ossature d'une certaine conception de la S-F. Mondes parallèles, invasions extraterrestres, délabrement humain, autant d'idées parfaitement conventionnelles, voire convenables, pour tout lecteur habitué au genre. Le détail qui fait véritablement la différence et l'intérêt de Mémoire vive, mémoire morte, c'est bien l'œil acéré que porte l'auteur sur les petites gesticulations humaines, regard critique qui ne s'épargne pas lui-même quand il se met en scène (« Trois belles de Bréhat », un constat plutôt amer sur l'âge et ses blessures), regard triste et pessimiste quant à l'Avenir de l'humanité. Tout occupé à tracer sa propre route dans l'ombre de géants comme Bradbury, Lem, Brunner et quelques autres, Gérard Klein assume son héritage, mais s'offre une place résolument à part et contemple le monde en ricanant. Une lecture hâtive peut donner à certains textes un côté désuet, mais cette fausse désuétude finit par convaincre par son sens de la mise en scène. Les textes sont d'ailleurs enrichis grâce à la technique délicate, mais maîtrisée, du monologue intérieur. De fait, ils n'appartiennent clairement pas à la race de ceux qu'on lit et qu'on n'oublie. L'auteur s'y déshabille, s'ausculte et se montre. Le lecteur, lui, découvre, savoure parfois, et referme le livre en se promettant de le relire un jour. Sorte de petit plaisir qu'on met de côté et qu'on se garde par gourmandise. Force est de reconnaître que les recueils de ce genre ne sont pas légion.

[Voir également la critique de Thomas Day.]

Patrick IMBERT

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