Allez, petite introduction taquine en forme d’hommage au « bon docteur ». Moi, Asimov, 626 pages, près de 1 200 000 signes, 166 chapitres, 23 portraits, 4 remarques égocentriques par page soit plus de 2400 au total et 1’illustration de Garfield en toute fin ! Arrogant, immodeste, vaniteux, orgueilleux, Asimov aimait compter ses efforts : « En l’espace de quarante années j’ai publié un texte tous les dix jours en moyenne. Pendant la seconde moitié de ces quarante ans, j’ai publié un article tous les six jours en moyenne. En l’espace de quarante années, j’ai publié en moyenne mille mots par jour. Pendant la seconde moitié de ces quarante ans, j’ai publié en moyenne mille sept cents mots par jours » ! Un brin obsédé, le garçon ! Jeu de mot asimovien, une machine à écrire ! A la question : comment devient-on un auteur très prolifique, il répondait : « La condition nécessaire est d’avoir la passion de l’écriture “en devenir” […] j’entends qu’on doit se passionner pour tout ce qui entre dans le processus, de la conception au point final. On doit aimer profondément l’action même d’écrire, le grattement du stylo sur la feuille blanche, le martèlement des touches de la machine à écrire ou le spectacle des mots s’étalant progressivement sur un écran d’ordinateur. » Et c’est cette passion qu’il nous invite à partager dans cet ultime livre qui ne sera publié qu’après sa mort survenue en 1992. Organisé en chapitres courts, plus thématiques que chronologiques, ce livre balaye les soixante-dix années de la vie d’Asimov, de son enfance de juif russe immigré aux Etats-Unis, en passant par ses débuts d’écrivain dans les magazines pulps, jusqu’à la consécration du Grand Master Award. Cette autobiographie est essentielle à plus d’un titre. D’abord parce qu’elle nous donne à voir l’évolution du travail d’écriture d’Asimov, des premiers essais dans les comics jusqu’à l’aboutissement d’œuvres majeures comme Fondation et le cycle des Robots. Ensuite parce qu’elle couvre une période assez vaste pour nous donner une photographie intéressante de l’évolution du genre, en tout cas aux Etats-Unis. Enfin parce qu’elle nous permet de découvrir des facettes méconnues de l’auteur, sa carrière universitaire plutôt tumultueuse, son goût pour les limericks (petits poèmes humoristiques), sa relation au monde de l’édition (idéalisée, sans doute), ses productions d’ouvrages de vulgarisation scientifique, son goût pour un humour « cruel » notamment présent dans Azazel, ses convictions politiques, libérales et humanistes, etc. Classique pour ce type d’ouvrage, on retrouve également des éléments plus personnels : mariages, vieillesse, maladie… chacun jugera de son propre intérêt à la lecture de ces chapitres. En tout cas, l’épilogue écrit par Janet Asimov après la mort de son mari est assez bouleversant. Seul petit bémol, mais c’est finalement révélateur de l’œuvre d’Asimov, on retrouve dans cet ouvrage la confusion entre quantité et qualité. On est d’abord transporté par tant de fluidité, de facilité de lecture, de jubilation dans la découverte d’une vie exceptionnelle. On aurait pres-que l’impression d’être devant un bon feu de cheminée, assis à côté du patriarche nous comptant ses anecdotes croustillantes. Mais cette lecture ludique et familière s’avère assez rapidement un peu sèche et on retrouve les défauts d’écriture souvent opposés à Asimov. Ses personnages sont froids, sans beaucoup d’âme, et ne parlons même pas des émotions. Il en est de même pour ses portraits d’écrivains (Williamson, Simak, Silverberg…) ou d’éditeurs (Campbell, Del Rey…). Quant à sa famille, les passages concernant ses enfants sont effroyables de distance (en particulier en ce qui concerne son fils). Pour autant, Moi, Asimov est une contribution essentielle : que l’on aime ou pas l’œuvre romanesque d’Isaac Asimov, nous avons entre les mains un témoignage certes orienté, mais riche d’une bonne partie de l’histoire du genre. Un éclairage précieux pour tout fan de SF. Moi, Asimov fait partie de ces livres dans lesquels on pioche avec jubilation pour en relire quelques passages. Un incontournable dans toute bibliothèque de l’Imaginaire qui se respecte, une manière de must, en somme.