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Les critiques de Bifrost

Critique parue en octobre 2005 dans Bifrost n° 40

[Chronique de la V.O.]

Figure incontournable de la science-fiction moderne, Dan Simmons fait partie de ces icônes littéraires dont chaque roman est un événement. Après quelques années d'absence au rayon space opera (et après le coup de maître que fut Hypérion), l'arrivée du diptyque Illium/Olympos a de quoi séduire inconditionnels et curieux. Au menu du premier tome, mystère cosmique quant à la quasi extinction de l'espèce humaine, discussions érudites et irrésistibles entre des intelligences artificielles semi-organiques autour de Shakespeare et de Proust, guerre de Troie décrite de l'intérieur par des chercheurs ressuscités pour l'occasion, sans oublier la trouvaille incontestable du roman, à savoir la description aussi hilarante qu'intelligente de tout un panthéon de dieux grecs obsédés par L'Illiade et aussi égoïstes que le veut la tradition. Cocktail détonnant, donc, d'autant que les scènes de bataille atteignaient des sommets de violence, confirmant au passage l'exceptionnel talent de l'auteur. Mais si Illium était évidemment truffé de qualités, Dan Simmons n'en dévoilait pas trop et restait dans le médiocre quant aux passages situés sur la Terre. Rien de grave, la suite étant censée redéfinir la S-F dans son ensemble, à en croire les laudateurs.

Disponible depuis juillet 2005 mais pas annoncé avant 2006 pour une parution en France, Olympos achève donc une oeuvre ambitieuse, démesurée et, il faut bien l'admettre, complètement ratée. Un constat amer qui n'en reste pas moins vrai. Oui, Dan Simmons a loupé son coup. Non, il n'a aucune excuse, tant les incohérences scénaristiques sont inexcusables pour un écrivain de ce gabarit. Est-ce la faute de l'éditeur, clairement démissionnaire face à son génial (et précieux) poulain ? Un débat intéressant dans lequel nous n'entrerons pas, mais qui a le mérite de se poser très exactement dans les mêmes termes pour des auteurs aussi différents que Iain Banks et J.K. Rowling (souvenez-vous de la critique de The Algebraist, nouveau roman S-F de Banks totalement raté et à paraître en France chez Bragelonne). Autre pilule difficile à avaler, le fond idéologique remarquablement nauséabond qui filtre entre les lignes… Même si cette trame n'est somme toute qu'accessoire, elle est suffisamment présente pour gêner le lectorat le plus apolitique. Bref, il ne reste pas grand-chose à sauver du naufrage, naufrage d'autant plus douloureux qu'aucune nuance d'humour ne vient tempérer le propos. Sérieux, sérieux, désespérément sérieux, Dan Simmons hésite entre la leçon de morale et l'exercice de style tout au long des quelques 600 pages poussives et épuisantes, traversées (reconnaissons-le) de quelques morceaux de bravoure, mais essentiellement vaines et (plus grave) incompréhensibles. Au final, le lecteur sort lessivé de la chose, à mi-chemin entre l'éclat de rire et la nausée, en fonction de son humeur du moment. Correctement coupée (environ 75 % du tome 2 et 15 % du tome 1), l'entité Illium/Olympos aurait fait un formidable livre. La mode étant à l'obésité, les contingences financières étant ce qu'elles sont, ne nous étonnons pas trop et voyons de plus près de quoi il retourne.

Là où Illium se terminait par l'alliance improbable entre Achéens et Troyens, unis contre les dieux, Olympos démarre quelques neufs mois plus tard, alors que la guerre se poursuit de manière aussi assommante que routinière. Comme Dan Simmons a promis 600 pages et qu'il faut bien meubler, l'histoire est habilement découpée en une multitude de sous-intrigues judicieusement enchaînées et coupées au meilleur moment (on sent le grand professionnel) afin d'attraper le lecteur à la gorge et le pousser à ne jamais lâcher le pavé. Hélas, on s'en rend compte assez rapidement, ces sous-intrigues n'apportent strictement rien à l'ensemble. Même quand il s'agit de personnages importants (Hélène, vraie traîtresse qui réussit à échapper au poignard vengeur de Menelaus, ou encore Achille, machine à découper les dieux qui n'hésitera pas à massacrer quelques femmes sans défense lassées d'une guerre interminable). Bref, Simmons fait ce qu'il peut, mais brasser de l'air ne fait pas vraiment avancer les choses. Personnage impeccablement réussi, Hockenberry est malheureusement relégué au second plan, son rôle lui permettant juste de servir de témoin à quelques scènes clés (comme la chute de Jupiter, chassé du trône par Héphaïstos et… Achille lui-même). Rien d'autre. La partie qui intéresse le plus l'auteur, ce n'est plus Troie (où les scènes de batailles se suivent et se ressemblent dans l'éviscération, sans jamais atteindre le souffle qui animait le premier tome), ça n'est même plus les sympathiques moravecs (dont les discussions théoriques donnent à l'ensemble un semblant de crédibilité, crédibilité qui ne va jamais au-delà de L'Univers en folie, par l'indispensable Fredric Brown), mais bien la partie terrestre, celle-là même qui était complètement ratée dans Illium. Car il nous reste à découvrir ce qui est vraiment advenu des humains, ce que sont les post-humains, et ce que mijotent ces curieuses entités auto baptisées Prospero, Ariel et autres Sycorax. De fait, les humains redécouvrent la vie primitive et réapprennent à vivre à l'âge de pierre, fortement aidés par le personnage d'Ulysse. D'où vient Ulysse ? Que fait-il ici ? À quoi sert-il ? Mais à rien. Comme bon nombre d'éléments de ce décidément inutile roman. Les communautés sont menacées par les Voynix, d'abord serviteurs puis exterminateurs de la race humaine. À tel point que les dernières poches de résistance commencent à tomber les unes après les autres, et qu'il va bien falloir trouver une solution. Partis à la recherche d'un remède pour Ulysse agonisant, Harman et ses amis découvrent des vérités cosmiques qui vont changer la face du monde. Enfin, surtout Harman, embarqué dans un voyage initiatique injustifiable d'un point de vue narratif et d'une incohérence qui laisse pantois. Simmons promène son lecteur exactement là où il veut l'emmener : sur l'épave d'un sous-marin atomique échoué depuis plusieurs milliers d'années, L'épée d'Allah. Dans cette carcasse de métal, plusieurs missiles non pas nucléaires, mais chargés d'un minuscule trou noir stabilisé. Piloté par des Palestiniens fanatiques bien décidés à pulvériser la Terre, le sous-marin a fort heureusement coulé sans faire détonner ses sinistres charges. Car, il est nécessaire de le savoir, les Palestiniens n'étaient pas satisfaits de leur virus déjà responsable de la quasi extinction de l'espèce humaine, il leur en faut toujours plus. Mais comme ce ne sont somme toute pas autre chose que des sauvages rétrogrades et qu'ils sont évidemment incapables de construire leurs propres armes, cette jolie technologie leur est gentiment donnée par… les Français. Eternels antisémites et suppôts du terrorisme international, comme chacun sait. Pas grave, l'apocalypse est évitée grâce à l'intervention des gentils moravecs et la société humaine se reconstruit doucement (juifs et grecs, uniquement, nous sommes entre gens bien). Quant aux post-humains transformés en dieux grecs, on n'en apprendra pas grand-chose de plus.

À ce stade du roman, on ressent comme un immense vertige. Un sionisme aussi militant et une paranoïa aussi patente peuvent faire rire, mais ne peuvent masquer une extrême indigence de pensée. On pardonnerait si le livre restait passionnant de bout en bout et impeccablement construit, mais Olympos n'est qu'un patchwork vide de petites scènes parfois réussies, souvent inutiles, sans que jamais un grand dessein n'apparaisse. Peuplés de personnages attachants mais vains, de situations bien vues mais éclatées, sans trame narrative claire, les éléments du roman tombent comme des pierres. Pas de justification, pas d'enchaînements. Rien que des cases péniblement comblées par un auteur qui n'a plus rien à dire.

C'est un euphémisme de dire qu'Olympos ne tient aucune des promesses d'Ilium, c'est aussi un euphémisme d'évoquer la consternation du lecteur une fois la dernière page tournée. Dan Simmons a-t-il définitivement basculé dans la folie furieuse ? Une question véritablement nécessaire. Et brûlante.

Patrick IMBERT

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