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Les critiques de Bifrost

Critique parue en juillet 2001 dans Bifrost n° 23

Enfin. On en parlait depuis longtemps. On disait que Genefort se devait de donner une œuvre ambitieuse, à la hauteur de son potentiel. Eh bien voilà !

Durant une dizaine d'année, Genefort s'est laissé aller au gré d'un long Fleuve Noir tranquille. Et le Fleuve s'est tari… Sa facilité d'écrire lui a fait bénéficier d'un capital de confiance non négligeable mais, dans le même temps, lui a permis une certaine nonchalance. Si le Fleuve ne s'était asséché, peut-être Genefort en serait-il encore à distiller d'honnêtes petits romans toujours sympathiques et agréables, bien faits, jamais médiocres ni excellents. Dans le lit du Fleuve, Laurent Genefort donnait des livres frais et gouleyant comme un beaujolais village. Avec Omale, il passe à la vinification du pinot noir sur une belle appellation communale bourguignonne. La fin du Fleuve l'a contraint a donner du corps à une ambition latente. Nul ne s'en plaindra.

Il n'y a rien en S-F que je préfère aux histoires de la catégorie à laquelle Omale appartient. C'est pour moi l'essence même du genre. C'est une quête. Celle d'un talisman plus précieux qu'en aucune fantasy : la compréhension du monde. C'est l'essence des Lumières qui habite Omale. Le Zeitgeist qui nimbe Omale ne diffère pas de celui du XVIIIe siècle. L'intolérance règne encore très largement, mais des gens s'évertuent à faire battre les ténèbres en retraite, tels les héros de ce roman.

Des héros qui sont des marginaux appartenant aux trois races qui peuplent Omale. Kasul, l'écrivain libertin musulman, Sheitane, qui fut femme de pouvoir en terre d'Islam, Sikandaïrl, la guerrière chile géante, Amees, Hodjquin banni pour avoir fait le choix de l'immortalité, Alessander, humain éduqué par les Chile pour être esclave, et Hornlafaïr, l'astronome chile. On découvre l'esprit d'Omale à travers une partie de Fejij, un jeu qui est une métaphore du monde où les perdants sont gagés de raconter leur passé. Ce procédé, aussi simple qu'élégant, nous permet de comprendre pourquoi ils ont été convoqués pour ce voyage.

Omale est une sphère de Dyson, comme l'Orbitville de Bob Shaw mise en scène dans le roman éponyme paru naguère chez Opta, en « Anti-Mondes ». C'est une coquille emprisonnant une étoile : des millions de fois la surface d'une planète, plus encore que le célèbre Anneau-monde de Larry Niven. Omale est bien sûr rattaché à l'univers Vangk où Genefort a situé la quasi-totalité de ses romans.

On trouve dans cet Omale le charme et l'esprit de romans tels que Le Sang du serpent de Brian Stableford, Exilé de Michael P. Kube-McDowell ou Patience d'Imakulata d'Orson Scott Card. Il s'inscrit également dans la mouvance de livres comme Le Rendez-vous de Vénus, excellent roman historique signé par l'astrophysicien Jean-Pierre Luminet ou le dernier ouvrage de Thomas Pynchon, Mason & Dixon. L'esprit des Lumières brille sur ce livre. Oserais-je écrire qu'il s'inscrit dans un même mouvement de résistance au « réenchantement du monde », fallacieuse expression qui dissimule le retour de l'obscurantisme ? Peut-être les Lumières finiront-elles par s'éteindre, vaincues par l'entropie, et l'âge des ténèbres par venir, mais il reste encore quelques esprits brillants. Sans avoir la magnitude de celui d'un Voltaire, loin s'en faut, l'humanisme de Laurent Genefort luit sur le petit monde de la S-F francophone. Par les temps qui courent, tout texte dont le propos est d'affirmer que, sous réserve d'en faire l'effort, tout un chacun peut comprendre le monde où il vit est fort bienvenu. Qu'Omale ne soit qu'une dose homéopathique du remède culturel à la crise existentielle de nos sociétés postmodernes n'est pas une raison pour ne le point prendre ; d'autant que la potion est plutôt bonne en bouche.

En dépit d'une fin un peu faible, Omale reste un roman d'action d'où l'ennui est banni sans pour autant sombrer dans une violence épaisse et basse du front ; et tout intellectualisme pesant en est à cent lieues. Il n'y aura certes pas « un avant et un après », sauf pour l'auteur lui-même, mais le plaisir était là, et bien là… Un bon livre.

Jean-Pierre LION

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