Jean-Daniel BRÈQUE, Edward WHITTEMORE
ROBERT LAFFONT
552pp - 23,50 €
Critique parue en juillet 2007 dans Bifrost n° 47
Grâce à l'auteur, nous avions déjà appris, entre autres, que le plus ancien manuscrit de la Bible avait été « mis à l'abri » par un étrange anachorète albanais afin de sauver la « vraie » Bible sur laquelle repose la civilisation occidentale, et qu'une interminable partie de poker jouée par trois singuliers personnages dans une minuscule échoppe du vieux Jérusalem avait décidé du sort de la ville et, par conséquent, du Moyen-Orient. On se doutait bien que ça ne pouvait pas s'arrêter là. L'issue aurait, en quelque sorte, paru trop simple…
Donc, dans ce troisième volet du Quatuor de Jérusalem (qui peut être lu indépendamment des deux précédents, quoique ce serait fort dommage), le lecteur découvre un autre lieu capital, en un autre temps : Le Caire en 1942, à l'époque où les troupes du maréchal Rommell progressent dans le désert. Dans l'hôtel Babylone, un meublé hors catégories tenu par l'inamovible Ahmad, tenancier au passé complexe et au présent insaisissable, déboule un certain Joe O'Sullivan Bearce, ancien joueur de poker à Jérusalem que des agents secrets sont allés chercher dans la réserve indienne où il s'était réfugié pour lui confier une mission : enquêter sur la mort de son ami Stern et sur les agissements antérieurs de celui-ci…
Bien sûr, dès le début du récit, tout est beaucoup plus tordu qu'une épopée historique, une intrigue policière, un roman d'espionnage ou une succession de portraits d'individus hauts en couleur, même si le livre participe de tout ceci, et avec panache. Comme dans les deux précédents volumes, ce qui séduit d'abord, c'est le côté imprévisible et farfelu des personnages. Toute banalité est exclue et, lorsque banalité il semble y avoir, c'est de manière tellement excessive qu'elle devient extraordinaire. Reste une profonde humanité, qui s'affirme de plus en plus, et de bouleversante manière, à mesure que s'enchaînent avec logique les plus incroyables évènements.
Résumer l'ensemble est impossible, et serait de toute manière malvenu. Ce qui constitue la force, la puissance d'Ombres sur le Nil, c'est sa capacité à surprendre sans cesse le lecteur, à le prendre à rebrousse-poil tout en lui donnant l'impression qu'on le caresse. La lecture donne la même impression qu'un rapport amoureux réussi, à la fois créatif et bienvenu, inédit et inattendu.
On ne rappellera pas ici les rapprochements déjà établis avec les plus grands auteurs de divagations prodigieuses, ni les compliments déjà humblement proférés à l'égard des deux précédents livres d'Edgar Whittemore parus en « Ailleurs & Demain » (cf. critiques in Bifrost n°39 et 42). Mais qu'on permette à l'auteur de ces lignes d'insister auprès des lecteurs pour qu'ils ne commettent pas l'erreur de passer à côté de ce troisième opus. Ils se priveraient de beaucoup de plaisir, et de l'opportunité rare de se retrouver étonnamment plus intelligents et bien plus satisfaits au moment de refermer l'ouvrage.
Quant à ceux qui auront l'audace avisée d'ouvrir Ombres sur le Nil, gageons qu'ils attendront la parution du quatrième pan de ce Quatuor comme ils attendraient un rendez-vous galant : avec confiance et impatience.