« Il n’y a pas d’issue, Parleur. Ils ont le pouvoir, ils ont les armes, ils ont tout. Nous pouvons faire ce que nous voulons, nous ne les intéressons pas. Ils sont dans un monde et nous dans un autre. Quoi que nous tentions, c’est perdu d’avance. »
Roman de fantasy d'un des auteurs francophones de S-F les plus côtés, Parleur est d'abord, et avant tout, une utopie nous narrant comment, poussée par la verve d'un héros au nom éponyme du présent bouquin, une petite communauté, cantonnée sur une colline surplombant une cité médiévale, va développer sa conscience politique à la faveur d'une terrible famine. De quelle manière passer de la passivité civique parfaite à une responsabilité et un esprit de corps triomphant de l'intérêt personnel égoïste ? La question est posée.
La première chose qui frappe, à la lecture de Parleur, c'est la qualité stylistique de la narration. On remarquera que c'est bien là la moindre des choses, surtout quand le récit suit le point de vue de la sπur biographe d'un poète et agitateur politique de talent. Quoiqu'il en soit, force est de noter combien le style et la mise en scène d'Ayerdhal se sont améliorés depuis l'aride Ballade Choreïale.
En revanche, on se permettra d'émettre quelques menues réserves sur le traitement des dialogues. Comment ne pas s'étonner, en effet, de l'omniprésence d'un vocabulaire familier et argotique en droite ligne inspirée de notre fin de XXe siècle (l'auteur nous fait, malgré tout, grâce du verlan…) ? Voilà qui a de quoi choquer en Fantasy médiévale, où l'on s'attendrait à plus pittoresque. Toutefois bien sûr le recours à pareil anachronisme n'est pas sans avantage il rend les personnages et leurs préoccupations plus facilement compréhensibles, de fait incontestablement plus proches du lecteur.
Concernant les personnages, justement, le caractère utopique (archétype), là encore, ne fait aucun doute. Ainsi les très « ayerdhaliens » Vini la maternelle (une « écrivaine » publique, sœur de Karel, poète contestataire martyre), Haiween « La Mante » (milicienne quasi psychopathe), roussette sanguine amoureuse éperdue, et enfin Parleur lui-même, beau comme un légionnaire et plus polyvalent que Capitaine Flamme et Doc Savage réunis. Viennent après quoi quantité de bonnes gens (les « Collinards »), que Parleur sera presque toujours à même de raisonner, généralement sans trop avoir à gérer des problèmes de communication insurmontable, débilité primaire voire psychopathie plus ou moins prononcée. La place ici n'est pas à la « langue de bois ». Tous les protagonistes « parlent vrai » à tel point que l'ensemble perd parfois en vraisemblance, surtout au regard de ce que l'on sait de nos jours en matière de politique. Oui, définitivement, Parleur est une utopie, avec tout que cela implique d'irréalisme.
Enfin on remarquera que Parleur n’a de Fantasy que le cadre — ce qui ne signifie pas, c'est entendu, que cela soit suffisant pour le qualifier d'autre chose. Nous sommes dans un royaume imaginaire, aux institutions (la Ghilde, le Dogme…) imaginaires. Mais de magie certifiée, de dragons, elfes et petits hommes aux pieds velus, point il pas plus que de beurre en broche. Quelques effets pyrotechniques, oui. D'un côté, cela évite de nous détourner du sujet de réflexion principal. De l'autre, la démarche aura être privé le roman d'atours plus ludiques, romanesques, fantasystes. Ce qui n'aurait forcément gâché la fable.
Reste, malgré tout, un livre de qui pas fondamentalement enivrant mais indéniablement personnel.