S'il y a une chose qu'on ne peut reprocher à Marion Mazauric, l'éditrice du Diable Vauvert, c'est de ne pas suivre ses auteurs. Et Poppy Z. Brite, Mazauric, elle aime. Ainsi, après l'avoir abondamment publiée chez J'ai Lu (trois romans et une anthologie, tout de même), elle poursuit Au Diable avec un recueil de nouvelles en 2000 (Self made man), un recueil d'essais et un court roman en 2002 (Coupable et Plastic Jesus), et enfin ce nouveau recueil de nouvelles, Petite cuisine du diable (troisième recueil publié en France, puisque Denoël publia, en 1997, Les Contes de la fée verte dans la collection « Présences »).
C'est en 1994 que le lecteur français découvre Poppy Z. Brite. Âmes perdues, premier roman de l'auteur, publié chez Albin Michel (avant d'être repris chez J'ai Lu), est un événement. Et déjà, tout ou presque de l'œuvre de Poppy Z. Brite est là : son univers goth peuplé de vampires, d'adolescents perdus aux préférences sexuelles fluctuantes, le rock, les bayous, le sexe et la mort, la drogue, un romantisme noir limite puéril aux échos rimbaldiens. Tout est là, oui, et c'est bien le problème car depuis, Brite n'a cessé ou presque de travailler ce même sillon avec des livres plus ou moins réussis, jamais mauvais, certes, mais parfumés aux mêmes relents d'humus noirs et pourrissants. Et Brite de le réaliser cruellement en avouant, dans la préface du présent recueil, avoir traversé une période de « lassitude d'écrivain », une dépression, quoi, une remise en question. Alors ?
Petite cuisine du diable présente treize nouvelles qui, toutes, gravitent plus ou moins autour de la Nouvelle-Orléans. Bon. Rien de neuf jusque-là, cette ville de Louisiane ayant toujours été au cœur de l'œuvre de Brite. Quant aux personnages, ils sont tous ou presque, et quelle qu'en soit la raison, des marginaux. Rien de neuf ici non plus : nous sommes toujours chez la Brite du Corps exquis. Pourtant, là ou les choses changent, c'est clairement dans la disparition du fatras trash/goth/tatoo/piercing auquel nous étions habitués chez l'auteur. Ainsi, au fil des textes proposés, c'est une géographie de la Nouvelle-Orléans toute en nuances qui s'esquisse, une peinture sensible, impressionniste, fantastique parfois (mais pas systématiquement), riche de saveurs (gastronomiques avant tout), humaine enfin, et ô combien… Si Petite cuisine du diable ne contient pas de chefs-d'œuvre, il n'y a non plus, en définitive, rien à jeter. Chaque texte est constitutif d'un ensemble qui nous dit que finalement, la magie est dans le cœur des hommes, une magie, noire ou blanche, que certains lieux sont prompts à faire éclore : la Nouvelle-Orléans étant, à suivre Brite, incontestablement l'un d'eux.
Petite cuisine du diable, livre hommage à la Nouvelle-Orléans, n'est pas une révolution ; plutôt le fruit d'une réflexion d'un auteur sur son travail, sans doute l'amorce d'un tournant dans une œuvre qui se libère d'une quincaillerie pesante. Poppy Brite n'a pas vieilli, non, elle a simplement grandi. Tant mieux.