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Les critiques de Bifrost

Plasma

Walter Jon WILLIAMS
J'AI LU
13,57 €

Critique parue en octobre 2001 dans Bifrost n° 24

En dépit d'une qualité aussi régulière qu'indéniable, Walter Jon Williams ne s'est toujours pas imposé en France comme une star de la S-F. Bien trop éclectique. Impossible à ranger dans la case des faiseurs de ça ou ça. L'ex-cyberpunk de Câblé et Le Souffle du cyclone (Denoël « PdF ») est passé vancéen avec Les Joyaux de la couronne (Rivages), laissant entre temps sur nos étagères un space op' à la Iain M. Banks revu et corrigé baroque, Aristoï (J'ai Lu), et son chef-d'œuvre inclassable : Sept jours pour expier (Denoël « Présences »). Que du bon.
Contrairement à l'assertion de la quatrième de couverture, pour apporter un bémol, je ne pense pas que Plasma soit son livre le plus ambitieux ni qu'il égale Sept jours pour expier. En fait, Plasma est de la même veine vancéenne que Les Joyaux de la couronne et n'est pas sans rappeler Emphyrio (Opta « Galaxie bis », puis Pocket) par certains aspects. À ceci près, et ce n'est pas peu, que W. J. Williams n'est pas un émule de Jack Vance.
Il aime, comme Vance, certes, dépeindre des sociétés différentes, étranges et étrangères, baroques à souhait, et s'emploie à les faire vivre sous nos yeux. Exercice auquel il s'entend fort bien.
Dans un très lointain futur, la Terre a été enfermée sous un bouclier qui cache la lune et le soleil et elle s'est couverte d'une conurbation globale. On pourrait se demander où tout ce monde trouve à bouffer mais, à vrai dire, on s'en fout. La bureaucratie, l'imbécillité, la corruption et le conformisme règnent toujours avec cette consternante constance qui caractérise si bien l'Humanité et doit être le signifiant-maître de son inconscient collectif. Le temps a passé mais rien n'a changé, les gens, petits et grands, sont toujours aussi cons du sol au plafond.
Ayah, l'héroïne, est plutôt au-dessus du lot. Le choix d'un bon parti lui a permis de sortir de la zone pour intégrer la classe moyenne inférieure : fonctionnaire. Le couple a néanmoins quelques soucis d'ordre financier. Aussi, quand Ayah a l'occasion de se « goinfrer », elle ne tergiverse pas longtemps. Elle s'empare d'une importante source de plasma qu'elle est censée contrôler au nom de l'Etat. Le plasma étant un fluide élémental, à la fois énergie, électromagnétisme et pouvoir psi, il est bien sûr rare et cher. Pas idiote au point d'être honnête, ni tout à fait dénuée de sens moral, elle vend sa source à un idéaliste bourgeois, Constantin. Elle apprend à se servir du plasma, mène une jolie carrière d'agent double de pair avec une double vie sexuelle, le tout sans négliger sa famille, que l'on croirait italienne dans un pays en proie aux mafias…
C'est à la fois fluide et touffu, très agréable à lire. Le monde créé par W. J. Williams est des plus originaux, très lointain et pourtant si proche… Il n'y a pas d'apothéose de l'héroïne ni de transcendance… On a l'impression d'un roman noir sans la noirceur. Il y a de l'idéalisme chez Constantin, mais on sait que le chemin de l'enfer est à ce point pavé de toutes les bonnes intentions du monde qu'il est devenu une autoroute… Il n'y a pas de fieffés salauds… Pas d'héroïsme enthousiaste ni de cynisme blasé. C'est un roman d'action adulte, au-delà de l'héroïsme phallique comme de la résignation. Avec Plasma, on entre dans un univers où la jouissance succède au désir sans pour autant avoir dû se conformer à l'impossible idéal. W. J. Williams propose une alternative à la logique du tout ou rien. Voilà un livre en bonne santé pour apprendre, avec les protagonistes, à vivre dans la réalité, à renoncer à l'idéal sans sacrifier tous ses désirs. Et puis c'est d'une lecture divertissante…

Jean-Pierre LION

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