Philippe SÉGUR
SEUIL
230pp - 6,60 €
Critique parue en janvier 2005 dans Bifrost n° 37
YAGUDIN. Sept lettres, une signature — YGDN — et un nom qui terrifient le puissant royaume de Norvège. YAGUDIN, le ravisseur d'épouses, l'égorgeur d'enfants, l'homme aux mains percées qui n'hésite pas à se planter un poinçon dans le flanc — jusqu'à la garde — afin de passer pour mort. YAGUDIN, l'assassin hors du commun qui tue dans six villes différentes au même moment pour prouver que les hommes qui ont exterminé son peuple ont fait de lui un démon.
YAGUDIN, tel est le nom du personnage malfaisant que Nils Immarskjöld Dugay a inventé et qu'il met en scène chaque soir en racontant une histoire à ses filles, Marnie et Emeline, l'histoire extraordinaire de l'homme aux mains percées. Nils est universitaire ; il voudrait être écrivain. Sa jolie épouse lui dit d'écrire l'histoire de Yagudin sur fond de saga norvégienne, cette histoire si cruelle et si perverse dont raffolent leurs filles. Mais Nils souffre du syndrome de la page blanche. Et bientôt l'être malfaisant envahit sa vie : lettres vides, coups de téléphone anonymes. Et il y a pire : cette menace hindoue, proférée par un restaurateur excédé : « que ta maison soit détruite », cette menace qui à force de planer en vient à obscurcir le ciel.
Des sept romans français que j'ai extrait de la rentrée littéraire 2004 pour les lire, plus par curiosité qu'envie, dont le goncourable et insipide Les Désaxés de Christine Angot et l'épouvantable et vomitif Partouz' de Yann Moix, Poétique de l'égorgeur est de loin celui qui m'a le plus intéressé, arrivant même à me passionner malgré ses défauts criants. En effet, ce roman kafkaïen légèrement marqué par le double sceau du « Horla » de Maupassant (pour l'ambiance paranoïaque) et du Fight club de Palahniuk (narration à la première personne, style très proche), fait partie de ces œuvres qui rétrogradent au lieu de monter en puissance. Les 144 premières pages sont parfaites ou presque, les 96 suivantes beaucoup moins satisfaisantes car y interviennent l'inévitable onze septembre 2001 et l'explosion de l'usine AZF de Toulouse, dix jours plus tard. En fin de compte, peu importe, l'ombre de Yagudin assassine notre relative déception… Et grâce à ce roman d'une rare richesse, siège d'une critique sociale aussi amusée que cruelle, Philippe Ségur fait désormais partie des rares écrivains étant parvenu à créer leur — ou plus simplement — un « Keiser Söze ». YAGUDIN = N. I. DUGAY.