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Les critiques de Bifrost

Critique parue en novembre 1996 dans Bifrost n° 3

« J'ai besoin de savoir pourquoi les tiens se jettent volontairement du haut de cette pyramide…

– Tu ne sauras jamais pourquoi les Zhandi se précipitent dans le vide car pour ça, il faudrait que tu sois toi-même un zhandi. Toi qui étais un Homme jusqu'ici, comment pourrais-tu devenir un Xhandi quand Chomanche est devenu à moitié humain à ton contact ? »

Michael Diamond Resnick est réputé pour ses univers foisonnant de couleurs, de sensations et, bien entendu, d'extraterrestres. Ici c'est au problème de l'identité mentale et culturelle des espèces non humaines qu'il s'attaque (après celui de l'espèce humaine dans la trilogie Paradis, Enfer et Purgatoire) à travers un court récit semblant tout droit inspiré d'un très bon épisode d'Au delà du réel (The Outer Limits), la série originale — à savoir « Le Caméléon », dans lequel un agent secret spécialiste du déguisement était recruté par le FBI (ou l'équivalent), pour infiltrer l'équipage extraterrestre d'une soucoupe volante accidentée au moyen d'un procédé permettant de donner à son corps l'apparence appropriée, tout en conservant sur bande l'aspect humain original.

Dans Projet Miracle, il s'agit cette fois d'une espèce de journaliste freelance cynique à souhait, qui s'est fait une spécialité de s'introduire frauduleusement dans des sociétés extraterrestres refusant toute présence humaine, afin de vendre le récit de ses aventures aux humains avides de sensations fortes. Constatant que le dit aventurier ferait un cobaye idéal pour une expérience de chirurgie plastique intégrale, les autorités lui offrent le déguisement (presque) absolu, qui lui permettra de continuer à violer interdits et tabous extraterrestres tout en accomplissant des missions de sauvetage ou d'observation scientifique. La question posée étant, bien entendu : Xavier William Lennox (le patronyme du gugus), demeurera-t-il humain à l'issue de toutes ces transformations?

Réponse évidente : non, puisqu'il n'en était déjà pas véritablement un. En effet dépourvu d'émotions autant que de scrupules, n'accordant aucun intérêt à son intégrité corporelle pas plus qu'à ses possessions (ce qui est somme toute assez logique), on se demande très rapidement quel genre d'enfance et de vie a pu aboutir à un individu visiblement profondément atteint. Détail que Resnick se gardera bien, naturellement, de donner.

L’expérience aurait peut-être été plus enrichissante si l'auteur, au lieu de mettre en scène un psychopathe se résumant en deux traits de caractère, curiosité et bénévolence inexplicable, avait fait appel à un « Indiana Jones » pleinement intégré dans le tissu social et suivi par des scientifiques dignes de ce nom, à savoir pas seulement efficaces dans le maniement du rasoir…

Car l'idée valait le déplacement — la scène d'ouverture est effectivement fascinante : on ne demande qu'à s'immerger dans des cultures différentes de la notre (ce qui est bien là l'un des paris les plus osé de la SF, non pas transcender sa personnalité mais, mieux encore, son humanité). Malheureusement c'est exactement le contraire qui arrive au fil du roman : loin de s'immerger, le héros se détache en fait de tout. Loin de comprendre, il ne comprend plus rien du tout, Loin de devenir plus exotiques, plus mystérieuses, plus excitantes, plus révélatrices, les civilisations extraterrestres s'amenuisent, se flétrissent et perdent de leur intérêt. À vouloir à tout prix réfuter l'idée d'universalité des consciences, Resnick déshumanise son « projet miracle » : le plus qu'humain est devenu moins qu'humain dans l'opération, oubliant que son lecteur, lui, demeure humain.

David SICÉ

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