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Les critiques de Bifrost

Rois et Capitaines

Rois et Capitaines

Jean-Philippe JAWORSKI, Rachel TANNER, Claire BELMAS, Robert BELMAS, Maïa MAZAURETTE, Lionel DAVOUST, Catherine DUFOUR, Thomas DAY, Armand CABASSON, Pierre BORDAGE, Johan HELIOT, Julien D'HEM, Laurent KLOETZER, Stéphanie NICOT
MNÉMOS
324pp - 22,00 €

Bifrost n° 56

Critique parue en octobre 2009 dans Bifrost n° 56

Pourquoi ça marche, les anthologies ? On peut légitimement se poser la question. Epiphénomène conjoncturel, qui revient moins souvent que les années bissextiles, l'anthologie est un genre bâtard, dont la réussite (littéraire plus que commerciale, sauf cas exceptionnels) tient au prestige, au goût et aux intuitions de son maître d'œuvre. Les lecteurs de ma génération gardent un souvenir ému des édifices bâtis autour des noms d'Ayerdhal (Genèses) et de Serge Lehman (Escales sur l'horizon), qui, en convoquant à la fois des auteurs chevronnés et de concupiscents jeunes loups, avaient réussi le triple exploit d'être un succès critique, public (à l'échelle de nos genres, bien entendu), et de poser les bases d'un renouveau de la S-F française. Les pendants fantasy s'appelaient alors Royaumes (au Fleuve Noir) et Légendaire (déjà chez Mnémos), compositions du futur éditeur cannibale Stéphane Marsan. C'était il y a dix ans.

Il faut croire que le concept — à défaut d'avoir été souvent décliné — est resté tout ce temps en faveur auprès des éditeurs, puisqu'on assiste depuis quelques mois à une véritable floraison de recueils, tandis que d'autres (alléchants) projets restent à concrétiser. Rois et capitaines épouse ce mouvement de fond, à une petite différence près : commandé pour le festival des Imaginales 2009, dont il est censé être une sorte de manifeste, il a pu bénéficier d'une promotion sans doute largement supérieure à la moyenne — de quoi assurer ses arrières commercialement parlant.

On peut le pressentir à la lecture du titre, Rois et capitaines renvoie à une conception guerrière (certains diront : convenue) de la fantasy, qui n'exclut pas cependant une bonne dose de cynisme, comme le fait remarquer Stéphanie Nicot dans sa courte mais éclairante préface. Jean Philippe Jaworski illustre le premier cette profession de foi : « Montefellone » est un récit de siège touffu, à la construction impeccable, où l'auteur réinvestit le cadre général mit en place dans ses œuvres antérieures. L'écriture, une peu froide, d'une précision maniaque, fait rouler idées et personnages jusqu'à la chute, magnifique d'amoralité.

De Rachel Tanner et de son cycle de romans inspirés d'une Rome uchronique, je ne gardais pas un souvenir impérissable. « La damoiselle et le roitelet » m'a agréablement surpris. Pendant la guerre de cent ans, un épigone de la Pucelle (qui rappelle aussi la Cendre de Mary Gentle), armé par Charles VII, ravage le camp anglois au nom de Dieu et du roi, jusqu'à ce qu'une sortie malencontreuse l'oblige à troquer ses robes de fer contre des robes de velours… L'intrigue, pleine de rouerie, est entraînante, mais souffre d'une dernière partie un peu vite expédiée.

Avec « Dans la main de l'orage », le couple Belmas tente de greffer sa mythologie personnelle sur la légende arthurienne. L'exercice, bien que traversé d'idées puissantes, veut courir plusieurs lièvres et s'empêtre à mi-parcours pour finir dans une certaine confusion.

« Sacre » est une pochade onanique signée Maïa Mazaurette. Rigolo, sans plus.

Je ne suis pas parvenu à rentrer dans « L'Impassible armada » de Lionel Davoust, étrange texte maritime qui évoque le monstrueux Terreur de Simmons. Deux flottes ennemies, égarées aux confins du monde et captives d'une glace aux propriétés surnaturelles, se livrent un conflit pour la possession de la lady Bourneswatting. Pour résumer : histoire d'un enlisement, qui enlise jusqu'à l'histoire. Le style est pourtant alerte, les personnages attachants. Alors quoi ? Problème de tonalité, de registre ? Davoust hésite à trancher entre l'horreur psychologique et la comédie (ne me dites pas que c'est une comédie d'horreur psychologique ?). On est au théâtre, alors qu'on s'attendait à jouer dans un remake lovecraftien du chef-d'œuvre de Roman Polanski. Un bon point cependant : donne envie de rejouer à Sid Meier's Pirates.

Catherine Dufour continue de faire subir les derniers outrages aux contes de fées. Malgré quelques passages elliptiques, « Le Prince des pucelles » est une perle d'humour noir.

Sous sa carapace de bourrin, Thomas Day cache une sensibilité de romantique : « La Reine sans nom » tranche avec la production habituelle de l'auteur, et avec le reste de l'anthologie d'ailleurs. Un fantôme sort de son tombeau et s'en va à la recherche de lui-même. Avec une grande économie de moyen, l'auteur déroule une histoire empreinte de poésie et de violence retenue. Sans doute une de ses meilleures nouvelles.

« Serpent-Bélier », d'Armand Cabasson, est un récit à grand spectacle, en technicolor, prenant pour cadre les steppes russes à l'époque du déferlement des Mongols sur l'Europe. Le prince chrétien Mikhail de Mazersk tente de rallier les tribus nomades et les lithuaniens, non christianisés, pour s'opposer à la Horde d'or. La rencontre du Serpent-Bélier, véritable divinité païenne incarnée, va transformer radicalement sa façon de voir le monde. Un texte furieux et cruel, sur la tolérance et la bêtise. Mon coup de cœur.

Ça me chagrine de le dire, mais Pierre Bordage livre, avec « Au cœur de l'Aaran », la contribution la plus faible du lot. Sur quoi on ne voit vraiment pas ce qu'il y aurait à rajouter.

Dans « Au plus élevé trône du monde », Johan Heliot s'autorise à sauver d'Artagnan de la mort pour lui faire croiser Cyrano sur la Lune. C'est plein de bons mots, de figures gouailleuses et d'exploits hénaurmes, dans la veine de la BD De capes et de crocs. Très divertissant.

Julien d'Hem, le petit nouveau, met en scène dans « Le Crépuscule de l'Ours » les atermoiements d'un soldat de fortune au soir de sa carrière. Sur le fond : bof. Sur la forme : rebof. Il reste au débutant du chemin à parcourir pour espérer un jour égaler la vieille garde.

Pour conclure, l'excellent Laurent Kloetzer revisite son univers et ses obsessions littéraires. « L'Orage », comédie déroutante sur la mémoire et le rêve, est un modèle d'écriture — à la fois labyrinthique et limpide, déliée et charnelle. Dommage que la fin soit trop équivoque, comme si l'auteur, ne sachant comment conclure, s'était débarrassé de l'histoire par une pirouette.

Résumons : un paratexte discret mais efficace ; une balance qui penche largement du côté des bons récits. Si ça n'est pas la meilleure anthologie de fantasy du moment, ça y ressemble.

Sam LERMITE

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