Prix Hugo largement mérité et premier volume d'une trilogie en cours d'écriture, Spin est un roman impressionnant, maîtrisé de bout en bout et plutôt emblématique d'une génération vaguement larguée. Fidèle à ses habitudes, Robert Charles Wilson y déploie une science-fiction humaniste, via une histoire tourmentée dans laquelle des personnages attachants vont se confronter à un mystère d'envergure cosmique à l'aune de leur propre faiblesse.
Thème classique, on le voit, parfaitement représentatif des textes de Wilson, où des hommes comme les autres sont projetés malgré eux dans une longue suite d'événements dramatiques. Cette apparente simplicité autorise beaucoup de choses et l'auteur excelle dans la peinture d'antihéros dépassés, souvent paumés, affectivement instables et étonnamment touchant pour les lecteurs qui dépassent la trentaine en perdant peu à peu leurs illusions et en voyant leurs premiers amis mourir du cancer ou se planter bêtement contre un arbre après une soirée arrosée.
De ce sentiment de fin du monde, on retient la montée d'une incompréhension totale à l'égard d'une société devenue folle et la nostalgie assumée d'une jeunesse perdue à jamais, engloutie dans la glace du passé. Et science-fiction mise à part, c'est exactement de ça que Spin traite magistralement : la perte, l'inconnu, le vide d'une existence sans valeur ni sens et, tout au bout, la mort.
Dans un futur si proche qu'on pourrait allègrement l'appeler aujourd'hui, Spin traite à la fois du destin de trois enfants et de l'avenir de l'humanité en tant qu'espèce. C'est là que Wilson réussit son coup : décrire l'isolement de la planète Terre (placée dans une sorte de congélateur cosmique qui recrée les conditions climatiques actuelles et la fixe dans une temporalité réduite alors que le reste de l'univers file à une vitesse inimaginable — plusieurs millions d'années par années terrestres subjectives) et ses conséquences sociales à travers les yeux de trois gamins qui, devenus adultes, prendront chacun une voie différente.
D'un côté Jason et Diane, les deux enfants d'un riche couple (père influent et mère alcoolique), et de l'autre, Tyler, le fils de la bonne. Trois gamins qui assistent ensemble au Spin, la nuit où les étoiles disparaissent du ciel, la nuit où la Terre est recouverte d'une sorte de membrane artificielle, modifiant à jamais la destinée humaine.
De leur vie, de leur amour et de leur perte, Robert Charles Wilson dresse un portrait doux-amer, alors que Jason met son indéniable génie au service du gouvernement, que Diane s'embarque dans une vague quête mystique qui la conduit au sein d'une communauté d'allumés quasi millénaristes, et que Tyler (narrateur et personnage principal) trace sa route comme médecin sans jamais vraiment comprendre ce qui lui arrive et pourquoi on en est là.
Qui a bien pu isoler la Terre de cette façon ? Qui, et pourquoi ? Autre détail désagréable, si le temps au-delà de la membrane s'écoule en accéléré (ou le temps terrestre au ralenti, ce qui revient au même), la mort du soleil risque d'arriver bien plus tôt que prévu… D'ici peu, pour tout dire, une cinquantaine d'années… Et avec elle, la fin du monde…
C'est donc la chronique d'une condamnation à mort que s'offre un Robert Charles Wilson en grande forme, excellant à décrire la grande panique et ses conséquences à travers les yeux de protagonistes plus ou moins acteurs. Les efforts des terriens pour contrer l'isolement terrestre (par de mystérieuses entités joliment nommées les Hypothétiques) doivent-ils passer par la terraformation de Mars ? La fuite vers les étoiles ? Autant de scénarios aberrants qui prennent soudain un autre sens quand on réalise peu à peu qu'une échelle temporelle décalée permet beaucoup de choses.
Et si l'épée de Damoclès penche dangereusement, n'est-ce finalement pas le lot de toute existence ? C'est presque une forme de clin d'œil pour une humanité habituée d'entrée de jeu à l'idée d'une mort certaine, mais qui se réveille en sursaut le jour venu, se passe la main dans les cheveux, cherche un paquet de clopes et soupire : merde, déjà ?
Convaincant du début à la fin, Spin est la preuve éclatante (en fallait-il vraiment une ?) que Robert Charles Wilson a dépassé ses faiblesses récurrentes et donné à son talent d'auteur une direction plus cohérente, plus efficace et encore plus intelligente. De ce beau roman qui hante le lecteur longtemps après, on retiendra ce vague sentiment de tristesse un peu fataliste quand l'inéluctable disparition de ce qu'on aime devient réalité, le cabotinage en moins. Une résignation douloureuse, mais inspiratrice.