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Les critiques de Bifrost

Téranésie

Téranésie

Greg EGAN
LIVRE DE POCHE
345pp - 7,10 €

Bifrost n° 26

Critique parue en avril 2002 dans Bifrost n° 26

Après trois romans et un quinzaine de nouvelles, Greg Egan s'est imposé comme l'auteur le plus important des années 90. Et avec des textes tels que « Cocons » (in CyberDreams 04), « Océanique » (in Bifrost 20), « Les Tapis de Wang » (Galaxies n°6) ou « Vif Argent » (Bifrost 11), son talent de nouvelliste n'est plus à prouver. En revanche, les romans sont davantage controversés. Leur sont reprochés froideur, complexité et manque de force narrative, et ce en dépit de spéculations scientifiques et éthiques de très haut vol. Leur public semble devoir rester partagé.
Avec Téranésie, on revient sur l'idée centrale de L'Échelle de Darwin de Greg Bear — paru l'été passé dans la même collection. D'étranges événements génétiques adviennent soudain, sans être ni fortuits ni aléatoires. Où Bear nous propose une modification de l'Homme, Egan met en scène des évolutions spontanées au sein de la faune de certaines îles du Sud.

La première moitié du roman n'a que peu à voir avec la S-F. La vie d'un garçon de neuf ans sur une île déserte ; la guerre ethnique en Indonésie ; la rencontre forcée du jeune garçon en question avec la cousine de sa mère, intellectuelle extrémiste new age et politiquement correcte ; quelques années plus tard, son homosexualité ; et en toile de fond la présence de sa petite sœur, Madhusree... Rien d'ardu là-dedans, ni de très passionnant. Ça se laisse plutôt bien lire, mais on en vient vite à ronger son frein. Ce n'est pas parce que le lecteur du XXIe siècle ne se satisfait plus de la S-F en fer blanc de grand papa, de ses personnages stéréotypés, qu'il faut se payer du travers inverse. La moitié du roman rien que pour camper le personnage, c'est un peu lourd, surtout qu'avec la réputation de l'auteur, on est en droit d'attendre un minimum de spéculation. On nous l'a promis, mais ça ne vient guère...

Madhusree, devenue étudiante en biologie, à la suite de ses parents, décide de retourner dans l'archipel de son enfance où les plus étranges espèces continuent d'émerger. Prabir, en parfait pot de colle, l'y suit. Ou plutôt retourne en Téranésie affronter les fantômes de son passé.

Après avoir noté l'importance prise par la biologie dans la S-F contemporaine, où s'inscrit Téranésie, il faudra admettre que ce roman n'a rien de génial. Greg Egan n'a ici ni le souffle d'un véritable romancier, ni la force dont il fait preuve en tant que nouvelliste. Si son écriture froide et distanciée est tout à fait propice à la mise en relief de problématiques socio-affectives engendrées par les progrès de la technologie, elle ne convient guère aux ambitions mainstream qui président à Téranésie. Le roman tourne autour du lien à la sœur, aux parents, à la guerre, à la culpabilité. Mais l'aspect biologique n'y relève que de l'épiphénomène.

Finissant en queue de poisson, mais plus accessible et facile à lire que l'on pouvait s'y attendre, on se demande si, finalement, on n'a pas placé la barre de nos attentes trop haut pour que Téranésie ne déçoive pas quelque peu.

Jean-Pierre LION

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